Nous reproduisons ici (article paru dans Atlantico) les réponses de Gérald Pandelon, membre du Bureau Politique de La Droite Libre (Voir article précédent) et d’Eric Verhaeghe, écrivain (entre autres: »faut-il quitter la France? ») aux questions d’Atlantico sur la rixe du village corse de Sisco
Atlantico : Samedi, une violente bagarre est survenue en Haute Corse entre membres des communautés corse et maghrébine, faisant quatre blessés. Plusieurs incidents mettant en opposition ces deux communautés sont survenus ces derniers mois sur l’île. Tous sont-ils comparables en termes de motivations et de degré de violence ?
Gérald Pandelon : Ces affaires ont conduit le parquet de Bastia à décider de l’ouverture d’une enquête de flagrance des chefs de violences en réunion. Mais au-delà des poursuites pénales, ce qui apparaît comme le plus inquiétant c’est la difficile appréhension et acceptation de la laïcité par certains Français de confession musulmane.
En effet, qu’on l’accepte ou le déplore, l’agression à la machette de touristes qui ont eu la simple indélicatesse de prendre des photos de jeunes femmes vêtues d’un Burkini constitue la preuve évidente que bon nombre de nos
compatriotes, non seulement refusent délibérément les principes d’une philosophie politique qui sépare le religieux du politique, mais également souhaitent, par la force, imposer les leurs en France. D’une certaine manière, cette violence exercée est le signe visible d’un refus de séparer les deux sphères, privée et publique, dans un pays dont le ciment repose sur la dualité du spirituel et du temporel. Dans sa version la moins tolérante, cet islam-là soulève des difficultés qu’il faudrait avoir le courage d’admettre, sans toujours, pour des motifs électoralistes et / ou politiquement corrects, s’y dérober. La difficulté, c’est que le simple constat d’une difficile conciliation entre islam et République demeure risqué sur un plan électoral pour ceux des acteurs politiques, peu nombreux, qui s’y livrent.
Eric Verhaeghe : La relation entre les Corses et le monde musulman au sens large est une relation compliquée, et l’arrivée de nationalistes au pouvoir dans les assemblées locales ne facilite pas la situation. On voit bien que face aux carences de l’Etat central, les Corses montent le ton. Après l’incendie d’une salle de prière, la conférence de presse donnée en juillet par les nationalistes pour annoncer leur fermeté face au terrorisme change profondément la physionomie du débat par rapport au continent. Autant la métropole est encore assez partagée entre le besoin d’une réponse identitaire forte et le bien-pensance du vivre ensemble, autant la Corse semble avoir largement tranché le débat en faveur d’une tolérance zéro. On notera d’ailleurs que l’Etat semble incapable de reprendre le contrôle de la situation politique. Seuls les cars de CRS sont encore capables de ramener l’ordre. Autant du recours à la force publique, l’Etat est absent et perdu.
Doit-on voir un lien entre le contexte actuel marqué par la multiplication des attentats à caractère islamiste en France et les événements de ce week-end ?
Eric Verhaeghe : Le lien est probablement plus complexe qu’il n’y paraît et toutes les circonstances de la rixe ne sont pas clairement connues. En revanche, il apparaît que l’incident trouve son origine dans une dérive communautaire. Des femmes se seraient baignées en burkini et les hommes qui les accompagnaient ont déclenché une bagarre contre des touristes qui prenaient des photos à cet endroit-là. Les habitants sont intervenus et l’ensemble a mal tourné. Un point est systématiquement escamoté dans la communication sur la question des violences intercommunautaires en France, c’est celle de la radicalisation en cours d’une partie de la communauté musulmane de France. Alors que, comme un sondage que vous avez publié l’a montré, l’islamophobie ne progresse pas en France, ou alors très à la marge, la christianophobie progresse de façon palpable dans une partie de la communauté musulmane. C’est à cette évolution que les incidents en Corse doivent être rattachés.
Gérald Pandelon : C’est une hypothèse qu’il n’est pas possible d’exclure si l’on admet, à la suite des déclarations de nos gouvernants, de gauche comme de droite, que nous sommes en guerre contre l’Etat islamique. Or, compte tenu des attentats qui ensanglantent la France depuis le mois de janvier 2015 et qui sont perpétrés par des Français se réclamant de la religion musulmane, il n’est plus possible d’évacuer la thèse d’une solidarité mécanique entre certains de nos ressortissants et les donneurs d’ordres. N’oublions pas cependant que nos amis musulmans sont également touchés par la folie meurtrière d’assassins qui tuent paradoxalement au nom de Dieu. Ce qui apparaît comme préoccupant dans l’affaire du village corse de Sisco, c’est le degré de tensions qui existe entre les communautés en France, une crispation identitaire qui signe l’échec de notre modèle d’intégration. Car si nous vivions dans une société apaisée, un simple dialogue entre ces communautés aurait dû suffire à éviter cet incident ; or, c’est précisément parce que nous connaissons de plus en plus une forme de guerre larvée sur notre territoire que des faits aussi anodins (des photos prises par des touristes) peuvent à ce point dégénérer. Lorsque la conversation civique n’a plus droit de cité, c’est le symbole qui sert de fondement à la violence et nous ne sommes plus loin de la barbarie. Sisco, c’est l’échec visible d’un modèle républicain d’intégration qui devient de plus en plus invisible.
A force que de tels incidents surviennent en Corse, ne pourrait-on pas craindre un phénomène de mimétisme sur le continent ? Jusqu’à quel point peut-on dire que ces incidents à caractère communautaire sont caractéristiques de l’île ?
Gérald Pandelon : Contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions de France plus passives, les Corses résistent davantage à ce qu’ils considèrent comme des agressions. C’est le motif pour lequel on considère parfois que ces incidents seraient caractéristiques de cette île. En réalité, les violences inter-communautaires sont quasiment inexistantes quand une des deux conditions suivantes est remplie : soit les deux communautés sont bien intégrées et il n’y a, par conséquent, aucune domination de l’une sur l’autre, soit les frontières politiques correspondent aux frontières de peuplement.
Or, l’islam politique est antinomique avec la version stato-nationale de notre construction politique.
Eric Verhaeghe : Les Corses, notamment parce qu’ils sont insulaires et globalement protégés historiquement des migrations – en tout cas des grands flux migratoires – ont conservé une conscience identitaire forte qui diffère de la situation en métropole où la tradition de l’immigration et le poids important des communautés religieuses change la donne. En outre, ne sous-estimons pas le besoin structurel d’immigrés dans de nombreux bassins économiques français. C’est bien beau de vitupérer l’immigration, mais certaines réalités sont incontournables. Demandez à Bouygues s’il est possible de mener un grand chantier dans le bâtiment sans l’apport d’une main-d’oeuvre étrangère, y compris européenne. Et parmi ceux qui, en France, votent pour une limitation de l’immigration, bien peu, même lorsqu’ils sont chômeurs, accepteraient de faire le travail réalisé par les immigrés. Le développement économique du pays pose donc un problème dès lors qu’il s’agit de mimétisme. On voit mal comment les Français pourront enrayer le phénomène migratoire sans se remettre au travail.
La rixe de samedi à Sisco est apparemment survenue après que des touristes aient pris en photos plusieurs femmes se baignant en burkini. Ces derniers jours, plusieurs municipalités du continent, parmi lesquelles Cannes et Villeneuve-Loubet, ont interdit le port du burkini sur leurs plages. Dans quelle mesure ces affaires de burkini risquent-elles d’attiser davantage les tensions avec les communautés musulmanes dans le contexte actuel ? Un risque d’escalade est-il à craindre ?
Eric Verhaeghe : Se passe pour le burkini ce qui aurait dû se passer pour le voile, et qui ne s’est pas produit: les Français disent non et sont pour l’interdiction. Au moment où la question du voile a commencé à se poser, les consciences n’étaient pas prêtes. L’idéologie lénifiante de la bien-pensance, qui analyse l’islam sous le prisme déformant de la culpabilité post-coloniale, n’a pas voulu voir que le voile constitue la face émergée d’un projet politique porté par l’islam dans les communautés immigrées d’Europe. Contrairement à ce que la gauche multiculturaliste soutient, le port du voile n’est pas un problème social, mais un problème politique. L’idéologie qui opprime le prolétaire musulman, qui l’asservit, qui l’aliène, pour reprendre le vocabulaire marxiste, ce n’est pas le capitalisme ou le libéralisme, c’est l’islam, qui porte une vision théocratique de l’ordre social. Les Français ont commencé à le comprendre et mesurent peu à peu le danger que la théocratie islamique représente pour nos valeurs et notre civilisation. Cela ne signifie pas que tous les musulmans sont porteurs de danger. Cela signifie simplement que l’Etat a renoncé à combattre les projets politiques systémiques qui mettent la démocratie en danger.
Gérald Pandelon : Dans une France qui serait apaisée parce qu’elle n’aurait pas connu, depuis janvier 2015, des attentats terroristes perpétrés au nom du djihad, l’affaire du Burkini n’aurait pas soulevé de difficultés particulières. D’ailleurs, on peut légitimement se poser la question de savoir si les arrêtés d’interdiction pourront être un obstacle à l’extrémisme, de la même manière qu’il n’est pas exact de soutenir que ces tenues feraient nécessairement allégeance à des mouvements qui nous font la guerre. En effet, non seulement certaines femmes qui acceptent de porter ce vêtement ne sont pas toutes musulmanes, mais également il relève de leur liberté individuelle de ne pas vouloir exposer leur corps au nom d’une légitime pudeur. Ce qui apparaît comme plus gênant, c’est que le burkini serve de prétexte au déploiement de la violence ; autrement dit, ce vêtement ne constitue, à mon sens, que la face émergée de l’iceberg. Car la force se déploie lorsque le droit n’est pas suffisamment clair ou sanctionnateur, ce qui soulève la question de la crise de l’autorité de l’Etat.
Suite aux événements de ce week-end en Corse, et au risque de voir les tensions s’amplifier aussi bien sur l’île que potentiellement sur le continent, quelle réponse doit apporter l’Etat ?
Gérald Pandelon : L’Etat devrait contribuer à l’émergence d’un islam laïc en France, c’est-à-dire une religion qui disjoigne le politique du religieux. D’ailleurs, contrairement à une minorité radicale, la majorité des musulmans n’y seraient pas opposés car ils en souffrent parfois aussi secrètement.
L’islam devrait donc, à mon sens, également faire sa révolution. Regardez l’idée de laïcité telle qu’elle s’est forgée en France : elle est fondée non pas sur la philosophie des Lumières mais sur le christianisme dont le mérite a été de permettre la séparation du spirituel et du temporel. D’ailleurs, c’est cette distinction qui a permis le développement des libertés publiques. En effet, si l’on reprend la locution du Nouveau Testament : » Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (Matthieu, XXII,21; Luc, XX, 25), ce passage a servi de précepte fondateur de l’Église catholique et des premiers papes, à savoir la division entre pouvoir temporel (politique) qui appartient au chef de l’État et pouvoir spirituel (religieux et théologique) qui relève du pape. J’observe également que non seulement des hauts dignitaires musulmans à l’étranger, mais également en France à travers le CFCM, ont condamné les attentats perpétrés en France. Car, en définitive, sauf à vouloir la guerre civile, nous n’avons pas d’autre choix que celui d’une vie dans la diversité et dans la paix.
Eric Verhaeghe : La réponse me paraît de trois ordres.
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