Et si l’illibéralisme avait vu le jour en France il y a plus de deux siècles, sans qu’on le sache ? le monde entier sait que le libéralisme était né chez nous au XVIIIe siècle et qu’il a quitté très vite notre pays, chassé par la dérive totalitaire de 1793. Quant à la notion théorisée par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, d’illibéralisme, elle est récente parce qu’elle est l’application raisonnée du libéralisme, dans des limites compatibles avec la liberté des peuples et la dignité humaine. Elle ne pouvait donc pas exister tant que le libéralisme était la garantie de la protection des libertés de chacun, pour reprendre la définition que Benjamin Constant donnait du conservatisme qui, par essence, est un libéralisme. Désormais, le libéralisme a dérivé vers la loi de la jungle, sous les coups de boutoir d’une économie exclusivement financière dans des sociétés fragmentées en communautés qui s’ignorent et qui exigent chacune son propre droit. En quelques mots, c’est ce qu’on pourrait retenir de l’intervention de Georges Karolyi, ambassadeur de Hongrie à Paris, lors du dernier dîner-débat de La Droite Libre, à l’invitation de son président, l’ancien député Christian Vanneste.
Vivant en France pratiquement depuis sa naissance, Georges Karolyi y a suivi ses études et effectué la totalité de sa carrière, notamment dans les industries aéronautique et automobile. D’emblée, l’assistance fut séduite par sa parfaite connaissance de notre politique intérieure. Il l’a démontrée, remerciant Jean-Nicolas Boullenois, vice-président du CNIP, de sa présence, en rappelant une anecdote qui illustre à merveille le pouvoir, et surtout, la capacité de nuisance de la technocratie. « Le CNIP était le parti du Président Antoine Pinay, a rappelé Georges Karolyi. Il était l’homme fort en 1952. En présentant son plan de redressement aux hauts fonctionnaires, Pinay s’était fait expliquer par eux toutes les bonnes raisons pour lesquelles il était inapplicable. Le Président Pinay les remercia de lui avoir donné la justification des lettres de démission qu’ils allaient lui remettre dès le lendemain matin ». De démission, il n’y en eut pas une seule et les Français savent encore gré à Antoine Pinay d’avoir redressé le pays. Les temps ont changé et peu de nos concitoyens croient encore qu’un ministre peut s’imposer à une administration dont, la plupart du temps, il est issu.
Et si l’illibéralisme était simplement cette capacité du politique à remplir le mandat que la population lui a donné par des élections libres ? « Lorsqu’à l’été 2014, a expliqué Georges Karolyi, le Premier ministre Viktor Orban a parlé d’illibéralisme, on l’a associé à la fin des libertés publiques. Il a voulu dire exactement le contraire. Lorsque le rideau de fer est tombé, la Hongrie est entrée à pieds joints dans la démocratie libérale, c’est-à-dire : “ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre”. Mais, a ajouté Georges Karoyli, ce principe n’opère plus. Si aucune autorité ne définit où s’arrête ma liberté et où commence celle de l’autre, c’est la loi de la jungle, c’est toujours le plus fort qui gagne. Chacun est convaincu de son bon droit et la liberté ne s’arrête plus que là où je l’estime devoir s’arrêter ».
Cette définition de l’illibéralisme figure en toutes lettres dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. L’article 4 est ainsi rédigé : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».
On peut donc dire que la France, patrie des fondateurs du libéralisme, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Charles de Montesquieu, entre autres, avait prévu comment organiser les libertés publiques au profit de l’ensemble de la société. Deux siècles plus tard, Viktor Orban a été contraint de concevoir un néologisme pour en revenir à l’idéal des penseurs du libéralisme. Comment en est-on arrivé là ? Selon Georges Karolyi, « le libéralisme poussé à son extrême suppose que tout le monde est égal. La concurrence libre et parfaite suppose que tout le monde a le même niveau d’information et de connaissance, le même moyen d’apprécier. C’est le contraire qui se produit. La manière de s’en sortir est de mettre en place un véritable état de droit. C’est quoi ? chacun est égal devant la loi pour fixer des limites à l’arbitraire d’un prince. Elles sont fixées par une autorité démocratiquement désignée et mandatée pour dire comment doit s’organiser cette démocratie. Si le droit est illimité, il s’exerce forcément au détriment de quelqu’un. Le concept d’illibéralisme ne se comprend que si on le conçoit dans le cadre d’un excès de libéralisme. C’est une limite aux excès du libéralisme qui nuisent à la cohésion de la société ».
Enfin, à l’intention des ignorants qui se contentent d’ânonner qu’Orban est un apprenti dictateur, Georges Karolyi a appelé à l’information et à la connaissance. Entre autres exemples, les media qui reprochent à la Hongrie d’avoir mis des juges en retraite anticipée. Ils oublient simplement que « aujourd’hui encore, 28 ans après le retour de la démocratie, 20 % des hauts fonctionnaires en activité ont été nommés par le pouvoir communiste ». ça ne surprendra que ceux qui ne savent pas compter les années ou qui ont oublié que Raymond Barre lui-même, en arrivant à l’Hôtel Matignon à l’été 1976, avait trouvé des fonctionnaires installés par les ministres communistes d’avant 1947. À l’adresse des donneurs de leçons français, Georges Karolyi a rappelé que s’il y avait bien eu épuration des cadres de l’État français à partir de 1944, il n’y eut pas la moindre épuration en Hongrie, vraie démocratie libérale.
Une note d’optimisme : toujours disponible pour défendre le pays qu’il représente, Georges Karolyi multiplie les conférences en France et nous a assurés être à même de transmettre à son Premier ministre, la réalité de ce que pensent vraiment les Français de la Hongrie et de sa démocratie, et non la vision caricaturale et injuste qu’en livrent les media main stream.
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