Avocat au barreau de Paris, Gérald Pandelon est docteur en droit privé-sciences criminelles et docteur en science politique, diplômé de Science-Po. Chargé d’enseignement, auteur de plusieurs ouvrages, il est également membre du Bureau Politique de La Droite Libre. Il répond ici à un interview d’Atlantico sur le projet d’irresponsabilité des mineurs de 13 ans.
- Ce jeudi, la ministre de la Justice Nicole Belloubet annonce, dans un entretien au journalLa Croix, qu’elle veut établir un seuil d’irresponsabilité pénale à 13 ans dans le cadre de sa réforme de la justice des mineurs. Actuellement, la justice française confie au juge des enfants et au tribunal pour enfants le soin de décider en fonction du discernement de l’enfant. Les juges des enfants sont dans l’ensemble attachés à cette liberté d’appréciation au cas par cas. Pourquoi mettre fin à un principe du cas particulier, à l’attention de juges spécialistes de la question, pour un principe de généralisation ? Surtout que le juge pourra toujours faire exception à ce principe mais devra le motiver.
Je vous avoue éprouver quelques difficultés à saisir la philosophie pénale voulue par notre actuelle Garde des Sceaux. En effet, d’un côté, avec la loi Schiappa,nous nous orientons vers davantage de répression de nouveaux délits, donc de contrôle des âmes et des corps, que constitueraient par exemple les outrages sexistes et autres harcèlements sur internet, lesquels, bien souvent s’inscrivent en marge du ludique et du répréhensible. De l’autre, s’agissant de mineurs âgés de 13 ans qui ne sont plus, contrairement à leurs aînés, des oies blanches, uneirresponsabilité pénale serait instaurée avec, toutefois, de possibles exceptions au dispositif. Comprendra qui pourra… Sur le fond, je crois qu’il existe surtout une profonde méconnaissance de ce que sont ces jeunes-là, lesquels, bien souvent, constituent déjà de petits criminels aguerris, utilisés d’ailleurs par des bandes très dangereuses pour perpétrer leurs forfaits, comme en Ile-de-France, par exemple, avec les divers gangs venus des pays de l’Est. Qu’il existe, encore une fois, un décalage abyssal entre le droit qui s’appliquerait (ou plutôt, en l’occurrence, le « non-droit ») et la pratique, c’est dire la réalité, une réalité qui semble se dérober aux analyses de nos gouvernants, sur bien des points d’ailleurs. Car, sur un plan anthropologique, force est
d’admettre que nous n’avons plus affaire aux jeunes d’autrefois ; qu’il s’agit, bien souvent, qu’on l’accepte ou le déplore, de petits sauvageons, pour reprendre l’expression forgée par M. Jean-Pierre Chevèvenement, lesquels deviendront, par l’effet de cette soudaine impunité, davantage virulents puisqu’ils ne seront pas poursuivis en raison de l’irresponsabilité pénale due à leur âge, 13 ans. Il s’agit par conséquent d’une prime à l’acte délinquantiel. Autrement dit, non seulement le nouveau dispositif ne canalisera en rien cette criminalité juvénile mais il contribuera même à la promouvoir. En clair, ce texte est irresponsable et découle encore d’une idéologie dépassée par son aveuglement, son refus obsidional du réel, une idéologie particulière de nature compassionnelle bien plus à l’écoute des voyous que des honnêtes citoyens. Enfin, sur un plan psychologique, le nouveau texte constituerait un désastre car il enverrait un signal catastrophique à des jeunes en mal de repères, et dieu sait s’ils en auraient un urgent besoin, en leur disant : « tu peux commettre même l’irréparable, tu es couvert ». Cela va contribuer à la prospérité des gangs chevronnés… En même temps, l’avenir pénal dure longtemps.
- Par ailleurs, les textes signés par la France, en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies, imposent d’introduire un tel seuil. La réforme ajoute-t-elle vraiment quelque chose d’inédit à cette obligation ? Par exemple, qu’en est-t-il du suivi des jeunes, reconnu coupable d’infractions, délits, ou crimes mais déclarés irresponsables ?
Jusqu’à présent, deux types d’irresponsabilité pénale peuvent se dégager de notre système juridique. La première, prévue à l’article 122-8 du code pénal, celle d’une irresponsabilité absolue des mineurs de moins de treize ans, lesquels ne peuvent faire l’objet que de mesures « (…) de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation » et celle, par ailleurs, d’une irresponsabilité relative des mineurs à partir de treize ans. L’article 2 de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante précisant que la juridiction pour enfants et la cour d’assises des mineurs puissent cependant, à titre exceptionnel, prononcer à l’égard du mineur âgé de plus de 13 ans une condamnation pénale. En toutes hypothèses, dans la plupart des cas, les mesures qui sont infligées sont de nature éducatives, celles prévues à l’article 8 du même texte (dispense de peine, admonestation, remise à parents, liberté surveillée, etc), lorsque le mineur délinquant n’est pas relaxé. Autrement dit, le dispositif pénal relatif aux mineurs délinquants est déjà particulièrement souple et fait abstraction largement, au nom dudit âge, des infractions, parfois graves, dont ils se seraient rendus coupables. Or, non seulement, ces sanctions éducatives n’ont jamais empêché la récidive, loin s’en faut, mais il conviendrait de les adoucir encore davantage si l’on saisit bien la nouvelle portée du texte issu de la réforme de la justice de madame Belloubet. En réalité, c’est pourtant à un durcissement des textes que devrait s’employer notre Garde des Sceaux à l’encontre de jeunes qui, bien souvent, sont dès l’âge de 13 ans, parfois plus tôt encore au sein de nos narco-cités, car il convient de substituer désormais le vocable « narco-cités » à celui démagogique de « cités sensibles », déjà très défavorablement connus des services de police. Il faudrait que m’accompagne dans ce type de quartiers tous nos édiles soucieux honnêtement, sans arrière-pensées idéologiques, et de façon objective, de comprendre de quoi il s’agit exactement...
- En revanche, la ministre ne répond pas à la question du manque de moyens de la justice des mineurs pour réduire la durée moyenne des procédures, actuellement de dix-huit mois. Nicole Belloubet prévoit également de procéder par ordonnance et présenter la réforme autour du 15 septembre prochain au Conseil des Ministres. Cette absence de réponse sur les moyens ne va-t-elle pas bloquer tout changement ? Surtout que la Garde des Sceaux prévoit des jugements plus rapides –dans les semaines suivant l’infraction ou délit…
Ma réponse sera courte : qui finance ? Avec quels moyens, puisque notre justice est déjà exsangue ? Ceux qui inspirent de tels textes connaissent-ils, par ailleurs, le désarroi des magistrats, leur journée de 15 h, parfois sans aucun espoir d’une quelconque promotion aux termes des « transparences »* (*textes qui prévoient deux fois par an un possible changement d’affectation des magistrats) ? Comment considérer qu’une justice encore plus expéditive que ce qu’elle est déjà aujourd’hui, constituera une justice de qualité, soucieuse des droits de la défense ? A croire que pour attribuer un nom à une loi, nos politiques seraient prêts à sacrifier l’intérêt général, oubliant ceux des victimes, au nom d’une démagogie débile, et ce, sans se soucier par ailleurs de savoir si leur irresponsabilité aura, tôt ou tard, une conséquence en termes électoraux.
Partagez avec vos amis