Ukraine : les vrais enjeux par Louis Altimare (Ligne Droite)
Comme le dit un jour feu Alexandre de Marenches, qui fut dix années durant, le meilleur chef du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) que ce service eut à sa tête depuis sa création, à Christine Ockrent qui fit un livre de ses confidences : « en matière de politique internationale, il faut pour analyser toute situation ne jamais oublier que la géographie physique et humaine l'emporte sur toute autre considération ».
C'est l'appropriation par l'Ukraine du détroit de Kertch, que la Russie redevenue puissante ne pouvait plus tolérer, qui explique toute la stratégie de Poutine depuis l'annexion de la Crimée. C'est pour la rendre pérenne qu'il organise actuellement les troubles graves que nous observons dans l'est de ce pays.
Dans la période antérieure à 2010 où Kiev, avec Victor Iouchtchenko, avait pris ses distances avec Moscou, l'Ukraine avait unilatéralement établi sa frontière maritime dans le détroit de Kertch; s'appropriant sa partie navigable et imposant ainsi des droits de passage à tous les navires russes entrant ou sortant de la mer d'Azov. L'accord russo-ukrainien de 2003 sur l'exploitation commune de la mer d'Azov et du détroit frontalier de Kertch considérait pourtant ces espaces maritimes comme des eaux intérieures communes à la Russie et à l'Ukraine. Avec l'arrivée au pouvoir à Kiev de Victor Ianoukovitch en 2010, favorable lui à la Russie, les deux pays avaient adopté une déclaration sur le partage des espaces maritimes dans ce secteur contesté. Un accord avait même été signé avec les Russes pour la construction d'un pont de 42 km de long sur 32 km de large et d'une hauteur de 50 mètres au-dessus de ce détroit. Il devait permettre et permettra dans deux ans à la Russie d'être reliée par une autoroute au territoire ukrainien, via la Crimée.
Depuis qu'elle a annexé la Crimée, la Russie a en effet affecté à ce projet un budget de 3 milliards de dollars qui ne tient aucun compte de ce que le problème de la frontière russo-ukrainienne dans le détroit de Kertch n'a pas pu être encore résolu, en raison de l’arrivée à Kiev en 2014 de Petro Porochenko qui, contrairement à son prédécesseur, cherchait, lui, à se rapprocher de l’Union Européenne.
C'est là et nulle part ailleurs que l’on trouve les vraies raisons qui ont motivé l'annexion par Poutine de la Crimée, puis sa politique militaire dans la partie russophone de ce pays.
Cette appropriation par l'Ukraine du détroit de Kertch, que la Russie désormais puissante ne pouvait plus longtemps tolérer, explique toute la stratégie de Poutine. D'autant que ce détroit et les eaux territoriales de la Crimée sont très riches en pétrole d'où la Russie nouvelle tire l'essentiel de ses ressources budgétaires.
Sa politique ne doit donc rien à l'improvisation ou à son désir de rétablir sous une autre forme l'ex empire soviétique. Dans la partie russophone de l'Ukraine il emploie les mêmes méthodes que celles qui lui ont réussi en Crimée. La différence provient de l'attaque de l'armée ukrainienne à laquelle Poutine ne pouvait permettre qu'elle rétablisse sa souveraineté sur la partie orientale russophone de son territoire qui, par ailleurs, donne accès à la Crimée et lui fournit tous les approvisionnements nécessaires à la vie de ses habitants, en particulier dans l'agriculture qui y est très prospère.
L'armée ukrainienne ayant été débordée par l'intrusion dans la zone de blindés russes et de milliers de soi-disant volontaires, la situation sur le terrain est en ce dimanche quelque peu gelée, le seul atout restant encore aux mains des Ukrainiens étant le contrôle des ports de Lougansk et Donetsk qui ont une importance stratégique; mais pour combien de temps ?
La pression internationale, la réunion de l'OTAN, les dernières menaces de l'U.E. ont abouti à un cessez-le feu qui ne tiendra qu'autant que Poutine le voudra; car c'est lui qui possède les meilleures cartes : la proximité géographique, une armée prête au combat, la détermination des séparatistes. Le premier ministre de la République populaire pro-russe de Lougansk, Igor Plotniski, n'a-t-il pas, postérieurement à cet accord, déclaré que « ses partisans n'ont pas renoncé pour autant à leur décision de se séparer de l'Ukraine ».
En face nous en sommes encore au rêve jamais abouti de la création d'une force de projection réunissant quelques milliers de soldats fournis par les seules armées réellement disponibles en Europe. Les sanctions économiques et militaires dont on menace Poutine sont des sabres de bois. Passer à des actions militaires ouvrirait la porte à une troisième guerre mondiale.
Il est temps de laisser les armes aux vestiaires et de se parler en abordant les vrais enjeux : ceux que commande la géographie dans toutes ses dimensions.
Car un jour nous aurons peut-être besoin de la Russie pour faire face à un danger pour la paix autrement plus inquiétant que celui qu'elle représente pour nous actuellement et qui se manifeste déjà, lui, dans nombre de pays du monde. Avec le même objectif : dominer par la religion le monde entier.
Partagez avec vos amis