Cher Éric Zemmour,
Friand de vos interventions médiatiques que les censeurs n’ont pas réussi à éradiquer, je n’ai pas manqué vos dernières sorties sur l’Allemagne et la réunification. Au nom de mon respect pour vous, de votre souci d’accomplir le devoir que vous vous êtes assigné en choisissant le métier d’informer de, et par, la vérité, je me sens le droit de vous dire que, sur cette question, vous faîtes fausse route.
S’agirait-il de quiconque d’autre que vous, je ne relèverais évidemment pas, tant je suis habitué aux billevesées médiatiques, ma lecture du moment étant d’ailleurs le remarquable Album des Bobards de notre ami commun, Jean-Yves Le Gallou. Vos détracteurs n’ont jamais réussi qu’à vous injurier et vous traîner devant les tribunaux pour vous faire taire. Jamais, ils n’ont pu vous prendre en défaut, tant votre parole est juste. Mais vous savez combien la moindre erreur de virgule de votre part vous sera reprochée et prendra des proportions inouïes sur le thème du “Zemmour dit n’importe quoi”. Ne tendez pas la perche à vos nombreux ennemis qui n’attendent que ça.
Vous êtes allé vite en paraphrasant Mélenchon pour affirmer que la réunification allemande fut une « catastrophe ». Je ne cherche pas à vous offenser mais, en l’occurrence, vous vous noyez, vous Éric Zemmour, dans le politiquement correct. Fleurissent ainsi dans les media d’extrême-gauche, des articles nous présentant la défunte RDA comme une société où tout le monde avait un travail, était instruit et profitait d’un système de santé merveilleusement égalitaire. Et de conclure que ce pays modèle a été annexé par une République fédérale impérialiste qui a substitué à ce bonheur quotidien les frustrations engendrées par la course perpétuelle chez Ikea, McDo ou Volkswagen.
Et vous Éric Zemmour, de vous en faire l’écho. J’ai été offusqué par vos propos qui ne corroborent pas davantage l’histoire que la politique. Il se trouve que j’entends régulièrement, de la part de gens qui vous approuvent sur le fond, que « Zemmour se caricature lui-même ». Combien de fois ai-je réfuté cette sentence, singulièrement après que je fus venu vous applaudir à la Convention de la Droite le 28 septembre dernier ? D’ailleurs, je serais ravi que vous me fassiez parvenir le texte de votre discours auquel il n’y a pas une virgule à retirer. Ce jour-là, aucune auto-caricature, seulement la vérité pleine et entière. Ne vous caricaturez donc pas sur l’Allemagne et sur cette prétendue annexion, Anschluss, de l’une par l’autre, qui serait une revanche de l’histoire !
À entendre pareille assertion, je pense instinctivement à ceux qui accusent la France d’avoir dévasté ses colonies et notamment l’Algérie alors qu’elle l’a créée et bâtie de toutes pièces. La RDA depuis 1990, c’est la même chose. On estime à € 2 500 milliards le coût pour le contribuable, et je ne lui donne pas de nationalité à dessein, vous comprendrez pourquoi, de ce que vous appelez annexion. Pour mettre à niveau un petit territoire d’à peine plus de 100 000 km2, qui abrite une quinzaine de millions d’habitants, on a injecté l’équivalent de la totalité des richesses produites en une année par la France entière. J’ignorais que Hitler s’était octroyé l’Autriche au même tarif en 1938.
Le Chancelier Helmut Kohl, et vous devriez vous en réjouir, vous qui, à juste titre, demandez que la politique prime le reste, avait fait le choix d’échanger la monnaie de singe est-allemande au taux de 1,67 ostmark pour 1 deutschemark (équivalent de 1 pour 1 pour les particuliers jusqu’à 6 000 marks, 1 pour 2 au-delà et pour les entreprises), alors qu’elle s’échangeait à 1 pour 10 en juin 1990, à la veille de l’union monétaire. Ce faisant, il a brisé la compétitivité, non seulement de l’est du pays mais de toute l’Allemagne qui s’est infligée une cure d’austérité extrêmement sévère pour s’en relever. Les Allemands, c’est dire, ont même accepté de payer l’essence plus cher qu’en France jusque vers 2015, sans parler d’une hausse de 3 points de la TVA. Mais ce grand chancelier avait considéré qu’il ne pouvait y avoir des Allemands de première et de seconde catégories.
Ça c’est de la politique. S’il avait été un comptable, à la manière d’un Juppé ou d’un Macron, il aurait évidemment échangé les marks à 1 pour 6 ou 7. Parce que ces caissiers de supermarché imaginaient qu’ainsi, l’est de l’Allemagne se serait couvert d’usines à bas coût aptes à maintenir la fiction de l’absence de chômage grâce à une main d’œuvre au prix de sa compétitivité. Helmut Kohl savait ce pari impossible parce qu’il existe un peuple allemand. Et ce peuple, outre qu’il ne pouvait accepter en son sein, une minorité de seconde classe, il fallait aussi le fixer sur un territoire qu’il fuyait vers l’ouest à la vitesse de la lumière. La RDA se désertifiait entre 1989 et 1990. L’exode s’est arrêté d’un coup d’un seul, au lendemain de l’union monétaire de juillet 1990. Les € 2500 milliards ont offert depuis, la plus gigantesque et la plus rapide entreprise de remise à niveau et d’embellissement d’un territoire si vaste.
HeImut Kohl a agi en patriote et en démocrate, à rebours des eurocrates qui ne sont ni l’un ni l’autre. Quatre mois à peine après la chute du régime, les Allemands de l’est votaient massivement le 18 mars 1990 pour la CDU qui leur avait promis la réunification, et portaient Lothar de Maizière, parrainé par Kohl, à la tête du gouvernement. Les opposants ? vous serez heureux d’apprendre que les seuls vrais adversaires de la réunification n’étaient pas les apparatchiks du SED qui engrangeront tout de même 16 % des exprimés ce jour-là, mais ceux qu’on retrouve aujourd’hui sous le nom de Bündnis 90/Die Grünen : les Verts et les gauchistes qui se prétendaient à la tête des luttes pour la liberté et des manifestations du lundi à Leipzig. Ils plaidaient pour un “socialisme démocratique”, pour que la RDA “conservât sa spécificité socialiste”. Les parfaits prolégomènes du discours mélenchonien d’aujourd’hui. Ces gauchistes ont fusionné, dès les premières élections fédérales de la nouvelle Allemagne de décembre 1990, avec les Verts de l’ouest. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que les Verts avaient été fabriqués de toutes pièces au début des années 1980 par la Stasi et sa nuée d’agents en RFA, pour manifester contre les Pershing de Ronald Reagan alors qu’ils ne trouvaient rien à redire aux SS 20 de Brejnev dirigés contre nous. Jean-Pax Méfret chantait alors : « pendant que les écolos défilent, ils installent leur barrière de missiles ». C’est d’ailleurs la raison profonde de l’opposition viscérale, et contraire au plus élémentaire bon sens, des soi-disants écologistes à l’énergie nucléaire, la plus propre qui soit.
Suite aux élections, la nouvelle chambre du peuple, Volkskammer, votait le 23 août 1990, il ne vous échappera pas que c’était le jour du 51e anniversaire du pacte germano-soviétique ‑, unilatéralement, c’est-à-dire sans que le Bundestag n’ait eu à se prononcer, l’adhésion à effet au 3 octobre suivant, des cinq nouveaux Länder à la RFA, conformément à l’article 23 de la loi fondamentale fédérale qui prévoyait la libre adhésion de tous les Länder qui le souhaiteraient. Le processus aurait pu être autre puisqu’un article 146 prévoyait la création d’un État allemand, après réunification et rédaction d’une constitution. Mais les est-Allemands étaient pressés. Pas uniquement de rejoindre l’eldorado, comme le prétendent les nostalgiques de la RDA, mais d’abord de respirer.
La RDA, n’en déplaise à Mélenchon et ses sbires, était le pays le plus sinistre d’Europe. Ce serait une lourde erreur de confondre cet état croupion avec les autres “démocraties populaires”. L’étranger de passage, lui, ne pouvait pas faire la confusion : s’il voulait fouler les pas de Chopin, de Liszt ou de Smetana, il lui suffisait d’un visa pour la Pologne, la Hongrie, ou la Tchécoslovaquie. On lui imposait, certes, d’échanger son bon argent contre la monnaie locale mais guère plus. En revanche, s’il désirait visiter la demeure de Bach ou celle de Goethe, ou se remémorer Voltaire et Frédéric II, le parcours était plus ardu. Le visa n’était valable que pour Eisenach, Weimar ou Potsdam où il devait être accompagné d’un guide, et à destination d’un hôtel déclaré à l’avance. La RDA était un état fantoche ne devant son existence qu’à son occupation par 500 000 soldats soviétiques – sur 15 millions d’habitants – souvent originaires d’Asie centrale justement pour éviter, ça vous parlera, une connivence quelconque entre Européens partageant une civilisation et une culture communes. Pendant ce temps-là, la population est-allemande était surveillée par les Inoffizielle Mitarbeiter. En français courant, pas loin d’un million de mouchards appointés par la Stasi, pour dénoncer quinze autres millions, parce que ces mouchards professionnels ne surveillaient pas que les quatorze autres millions de citoyens ; ils se surveillaient aussi entre eux.
Les est-Allemands voulaient, c’est vrai, rejoindre ce qu’ils considéraient comme un eldorado. En ce temps-là, les prédécesseurs de Mélenchon s’extasiaient devant la prétendue… septième économie du monde. Vaste blague colportée par les communistes et leurs compagnons de route à propos d’un pays exsangue. Savez-vous qu’en 1988, la surface de Berlin-ouest s’était accrue parce que la RDA avait réussi à fourguer à la RFA, un bout de terrain d’un peu plus de neuf hectares, moyennant 76 millions de deutschemarks dont elle avait un besoin pressant ? Il n’y avait plus rien à sauver en RDA en 1989. La famine eût été l’étape suivante.
Puisque nous en sommes à la civilisation et à la culture, vous expliquez cette supposée annexion par ce qui serait la revanche de 1870… bigre ! Il est vrai que des différences substantielles existent entre Rhénans catholiques et Prussiens réformés. Je m’amuse parfois lorsque je rentre dans mon Périgord, à dire qu’en franchissant la Loire, je débarque en Afrique noire. Pour Metternich l’orient commençait à Vienne ; le chancelier Adenauer galéjait, lui, avec l’Asie dès l’est de l’Elbe. Vous qui êtes, à juste titre, un défenseur de l’état-nation, j’ai eu le sentiment, à vous entendre, que vous déniiez aux Allemands d’être un seul peuple. C’est la Prusse qui a fédéré ce peuple sous son égide. Mais pouvait-il en être autrement dans un pays morcelé en… plus de 1 200 états selon le décompte opéré par Yves Tissier, dans son remarquable De l’Allemagne et de ses monarchies au XIXe siècle ? Qui précise : « dont environ 360 étaient représentés à la Diète de Ratisbonne, les autres n’étant que des poussières d’états ». 360 tout de même, royaumes, évêchés, villes libres, duchés, principautés, marches, etc… Dans ce puzzle uni par la langue et la culture, la Prusse était archi-dominante. De fait, le Reichstag, né de la proclamation de Versailles du 18 janvier 1871, comptait bien 236 députés prussiens sur 382, à juste proportion de sa population.
Et vous voudriez que 120 ans plus tard, ce soit une revanche alors que l’Allemagne, et vous le déplorez vous-même, soit à la pointe de la culture de la repentance et de l’autoflagellation ? Que des Saxons, des Brandebourgeois ou des Thuringiens, frustrés parce qu’ils sont oubliés de la mondialisation et envahis par une immigration incontrôlée, c’est une certitude. Mais c’est la conséquence du désordre que vous avez raison de déplorer, provoqué par l’entrée de la Chine dans l’OMC ; pas du calcul cynique d’un Kohl voulant rendre la monnaie de sa pièce à Bismarck. Vous remarquerez du reste que les habitants de Berlin, Dresde ou Leipzig, ne se sentent pas davantage rejetés que les bobos de Paris, de Lyon ou de Bordeaux. En revanche, les Ossis de Hoyerswerda, de Sassnitz ou de l’Eisleben de Martin Luther, se sentent comme les gilets jaunes d’Ivoy-le-Pré, de Ribérac ou de La Souterraine…
Je terminerai, cher Éric, en revenant à la France sous le prisme de l’intérêt de laquelle vous argumentez sans relâche et sans lassitude. Il est juste, et c’est pourquoi au début de cette missive amicale, je n’ai pas voulu qualifier les contribuables qui ont financé la réunification, que les Européens ont financé la réunification allemande avec un euro sous-évalué pour le deutschemark et surévalué pour les monnaies des deux autres grands pays, la France et l’Italie qui, elle, n’était même pas éligible à l’euro selon les critères définis par le Traité de Maastricht. Mais, qui l’a voulu ? Mitterrand ; un peu comme vous, il préférait qu’il y eût deux Allemagnes et a obtenu de Helmut Kohl l’abandon du mark, en échange de son absolution. Le peuple allemand a le droit d’être intelligent, nos dirigeants ne sont pas obligés de tomber dans le piège des Dépêches d’Ems.
Sans rancune et avec tout mon soutien pour vos combats futurs qui sont aussi les miens !
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PATTE F
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C’est très bien dit, noté et avec des connaissances et recherches.
Bravo à vous.
Cordialement
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