Avocat au barreau de Paris, Gérald Pandelon est docteur en droit privé-sciences criminelles et docteur en science politique, diplômé de Science-Po. Chargé d’enseignement, auteur de plusieurs ouvrages, il est également membre du Bureau Politique de La Droite Libre. Très connaisseur de l’institution policière pour avoir, entre autre, défendu beaucoup de ses membres, il répond à un interview d’Atlantico sur la « grogne » des CRS.
Atlantico : Le 22 septembre, plus de 2000 CRS étaient en arrêt maladie, en signe de protestation face à la volonté du gouvernement de fiscaliser leur prime de déplacement. Un mouvement levé le 22 septembre après la réception des représentants des CRS Place Beauvau. En quoi l’ampleur du mouvement peut il révéler un mécontentement qui va au delà de la seule prime de déplacement ?
Gérald Pandelon : Au-delà de la question technique de la fiscalisation de la prime de déplacement dévolue aux CRS, il existe plus généralement un mécontentement profond et grandissant dans la police. D’abord, des missions de plus en plus complexes et exigeantes en relation avec un état d’urgence qui se pérennisera ; ensuite, le sentiment croissant de n’être pas entendu ni compris par la hiérarchie, une hiérarchie policière plus prompte à promouvoir des agents insignifiants qu’à honorer des policiers d’élite, lesquels constituent souvent les grands oubliés d’une République qui, pour eux, est loin d’être en marche ; enfin et surtout, des conditions de travail qui se dégradent, même si, le ministre de l’intérieur aurait proposé une rencontre avec les trois secrétaires généraux des syndicats.
Dont acte. La difficulté c’est qu’en dépit de louables intentions, la réalité apparaît bien triste pour des policiers qui souffrent d’un suremploi depuis les attentats de 2015, d’un manque de matériel, d’un allongement des délais de paiement de l’indemnité journalière d’absence temporaire (IJAT) (aujourd’hui de 39 euros nets par jour de travail passé en déplacement) en dépit d’efforts toujours supplémentaires consentis par les forces de l’ordre ; ou encore, de véhicules qui tendent à suivre l’évolution de l’Etat et de la société, à savoir celle d’un état de décomposition avancée. Car il existe un tel décalage entre les situations individuelles de ces fonctionnaires et la réelle compréhension qu’en ont nos dirigeants politiques respectifs que l’on peut légitimement se poser la question de savoir si les sempiternels discours empreints d’empathie ne masquent pas une sournoise hypocrisie.
Quels sont les risques pour le ministère de l’intérieur de voir de tels mouvements se répéter ? La contestation peut elle s’étendre au sein des forces de l’ordre ?
Il existe un tel découplage entre les difficultés rencontrées au quotidien par les policiers dans l’exercice de leurs missions et la reconnaissance (ou plutôt son absence) par les pouvoirs publics de cette dimension que la grogne risque de se transformer en un réel divorce entre les forces de l’ordre et le pouvoir. Une scission qui viendra davantage creuser la crise du politique, à moins qu’en réalité il ne s’agisse depuis longtemps déjà d’une simple politique de la crise…
Quelles seraient les mesures urgentes à prendre, pour l’exécutif, pour se prémunir d’une cristallisation du mécontentement ?
Comment ne pas considérer que la soumission de l’IJAT aux prélèvements sociaux constitue aujourd’hui, à l’heure de l’état d’urgence, une profonde marque de mépris ? Car c’est précisément au moment même où les effectifs de police sont les plus sollicités que l’on vient soulever la question de cette prime au seul motif qu’elle serait, selon la Cour des comptes, défiscalisée ! Mais ladite juridiction financière n’a t-elle donc pas d’autres chats à fouetter en pareilles circonstances ? Veut-on sceller définitivement le divorce entre des élites totalement coupées des réalités et des priorités et ceux qui sont particulièrement exposés et désespérés car froidement ignorés ? N’est-ce pas le pire des moments pour toucher au portefeuille des CRS ? Car, en réalité, nos forces de l’ordre devraient être plus que jamais non seulement écoutées mais entendues et des efforts financiers conséquents devraient être aujourd’hui consentis à leur bénéfice. Or, c’est précisément aujourd’hui que l’on viendrait cyniquement attenter à ses quelques avantages ? Autrement dit, on marche, comme dans bien d’autres domaines, sur la tête. À croire qu’il n’y a au fond qu’une alternative. Soit nos gouvernants ne comprennent rien, ni en général à leur peuple ni en particulier aujourd’hui à la souffrance des forces de l’ordre et peuvent alors froidement assujettir à l’impôt de modestes primes, demeurant ainsi sourds aux cris de désespoir de ceux qui sont pourtant en charge de la défense et de la sécurité de nos concitoyens ; soit, tout simplement, ce n’est pas leur affaire, ils s’en moquent royalement. Mais alors ils s’exposent à en payer le prix lors des prochaines échéances électorales. Contribuant ainsi par l’absurdité de leurs politiques publiques à contribuer aux succès électoraux de candidats dont ils disent pourtant ouvertement le plus grand mal. Une politique, au fond, du paradoxe. Pourtant ils perdront les élections, et ce, peut-être définitivement, car si l’on peut ignorer son peuple un temps on ne peut l’ignorer éternellement…
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Norice
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Excellente analyse, qui s’ajoute à la maladie structurelle de l’administration policière sclérosée par son organisation hiérarchique
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