Big Brother par Pierre Laroche
Je fais partie de cette génération d’hommes pour laquelle les initiales BB évoquaient la beauté féminine et la sensualité. Notre Brigitte Bardot nationale s’étant aujourd’hui consacrée à la défense des animaux, ces deux lettres me font aujourd’hui penser à ce que nos amis américains appellent « Big Brother ». Et justement, les médias français nous ont cette semaine rappelé que ces « amis » le sont tellement qu’ils s’intéressent de très près aux conversations téléphoniques de nos présidents. Nous savions déjà que nos propres présidents s’espionnaient mutuellement et de manière très officielle puisque ces écoutes étaient parfois utilisées pour traîner leur prédécesseur devant les tribunaux; mais là, il s’agit d’une puissance étrangère. Et de la puissance la plus puissante : les États-Unis d’Amérique !
WikiLeaks tire son nom, du mot hawaïen « wiki », qui signifie « rapide » et de l’anglais « leaks », soit « fuites » en français. Le mot wiki est généralement utilisé dans le domaine Internet pour désigner un site qui permet à ses visiteurs d’en modifier le contenu avec ou sans contrôle. Le plus connu est « Wikipédia » qui fonctionne comme une encyclopédie et que chacun d’entre nous a consulté à un moment ou un autre. Mais WikiLeaks n’a de wiki que le nom. C’est en fait une organisation à but non lucratif, financée par des dons, célèbre pour les bombes médiatiques qu’elle lance à intervalles réguliers et qui sont reprises par les médias du monde entier.
Celle qui a explosé cette semaine enfonce une porte que beaucoup d’entre nous pensaient déjà ouverte : les USA auraient espionné nos trois derniers Présidents de la République. Le mérite de WikiLeaks n’est donc pas d’avoir révélé un secret de polichinelle – tout le monde espionne tout le monde – mais d’avoir obligé notre Président en exercice à faire comme s’il n’avait pas su. Convocation au Palais de l’Élysée de l’Ambassadrice américaine, coup de téléphone de François Hollande à Barak Obama et rappel des engagements pris par la Maison Blanche de ne pas procéder à des manœuvres aussi déloyales envers ses amis, au moment même où la réplique de l’Hermione, symbole de la contribution militaire française à l’indépendance américaine, mouillait dans le port de Philadelphie. La Fayette a dû se retourner dans sa tombe !
Mais, quand bien même le voudrait-il, Barak Obama a-t-il les moyens de tenir une telle promesse envers notre pays ? N’est-il pas lui-même, comme son parti et ses collaborateurs, victime de la surveillance des organisations chargées d’assurer la sécurité intérieure, au-delà des considérations partisanes qui divisent le paysage politique américain ? On peut le craindre quand on sait que, en juin 2009, la NSA a subit une enquête du Congrès des États-Unis sur ses pratiques d'écoute électronique : elle aurait intercepté, sans surveillance ou autorisation judiciaire, plusieurs appels téléphoniques et plusieurs courriels de citoyens américains. On peut également citer les interventions auprès des commissions de la Justice des deux Assemblées demandant plus de contrôle de la NSA de la part de groupes tels Google, Apple, Microsoft, Facebook, Yahoo, AOL, Chrome, Linkendin etc.
La NSA (National Security Agency) a depuis longtemps dépassé les frontières nationales pour devenir principalement une organisation spécialisée dans le cryptage et le décryptage d’information. A ce titre, elle a contribué parfois de manière directe au progrès des matériels et technologies informatiques du monde entier. Elle participe à la défense nationale en travaillant, souvent sans intervention des élus de la nation, avec les forces armées américaines et la CIA. Contrairement à cette dernière, la NSA ne possède pas de réseaux d’espions à travers le monde.
Son expertise lui permet d’intervenir dans les deux sens : casser les codes internationaux afin d’exploiter les informations collectées à travers le monde et générer les systèmes de codage permettant de protéger les données américaines et l’accès aux matériels informatiques nationaux.
Bien que la responsabilité de collecter l’information internationale incombe normalement à la CIA, seule capable d’agir sur le terrain, il est clair que la NSA s’est tout naturellement impliquée dans ce domaine car la surveillance d’Américains entraîne celle de leurs communications avec l’étranger. Or, tout échange de cette nature qui comporterait la moindre ambiguïté ou un début de suspicion peut évidemment amener à la surveillance future de toutes les communications de la personnalité étrangère impliquée. Il est également facile de justifier l’extension de cette surveillance aux personnes cités dans ces communications, même si ces dernières n’ont pas eu d’échanges directs avec les correspondants américains mis sous écoute en premier.
On voit donc qu’il est possible de justifier l’interdit en se donnant bonne conscience et c’est de toute évidence ce que la NSA a fait en écoutant les conversations de nos trois derniers Présidents de la République, comme l’a révélé WikiLeaks.
Mais le mieux est souvent l’ennemi du bien. Les pratiques de la NSA en matière d’interception et de surveillance d’informations, couplées au fantastique bond en avant des moyens de communications de la planète, l’ont amenée à collecter une telle avalanche d’informations qu’il a fallu développer des équipements et des algorithmes permettant de les exploiter; avec un risque élevé d’en voir passer des plus importantes au travers des mailles du filet.
Il est donc probable que les écoutes révélées cette semaine par WikiLeaks, si elles sont vexantes pour nos présidents en raison du battage médiatique, n’ont pas eu de conséquences notables sur la sécurité de notre pays.
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