L’affaire des costumes de Jack Lang agite Landerneau. À juste titre, d’aucuns s’émeuvent qu’on ait éliminé un présidentiable pour des montants infiniment plus modestes. Mais cette histoire démontre qu’il deviendra désormais extrêmement difficile de passer entre les gouttes. Car il y a bien un mystère Jack Lang. Il y a près d’un quart de siècle, Lionel Jospin avait demandé un droit d’inventaire du principat Mitterrand, marqué par d’innombrables affaires plus ou moins louches, certaines relevant du folklore comme le sympathique maire d’Angoulême qui s’achetait des Ferrari à Monaco aux frais de la mairie, d’autres plus sordides comme le suicide de François Durand de Grossouvre à l’Élysée.
Les élections régionales de 1992, puis les législatives de l’année suivante, s’étaient largement jouées sur la corruption du pouvoir exécutif de l’époque. Mais ce maelström, pas moins d’ailleurs que les affaires suivantes éclaboussant le parti socialiste, a toujours épargné l’insubmersible Jack Lang qui avait pourtant battu les records de longévité au pouvoir, puisqu’il a été ministre dix ans durant, pendant l’intégralité des deux mandats mitterrandiens, à l’exception des deux périodes biennales de cohabitation.
Si quelqu’un a profité plus que largement des largesses du pouvoir politique, c’est bien lui. Probablement que sa chance a été d’user des moyens les plus rustiques, comme de garder intégralement pour lui les enveloppes de liquide provenant des fonds secrets et destinés aux membres de son cabinet. La complicité des media et de l’ensemble du monde de la culture qu’il a abondamment choyés avec force argent public, a fait le reste. Nul ne parlait de son train de vie plus que fastueux, mais tout le gotha audiovisuel l’invitait sur les plateaux.
Une simple phrase de l’irréprochable Lionel Jospin, le 12 décembre 1994, aurait dû attirer l’attention. Il n’en fut rien. La veille, un dimanche, Jacques Delors que le PS attendait pour le sauver de la débâcle à la présidentielle du mois d’avril suivant, jetait l’éponge en direct chez Anne Sinclair. Lionel Jospin, celui qui mettra fin trois ans plus tard aux enveloppes d’argent liquide dans les ministères, en tira les conséquences à sa façon : « Si Jack Lang y va, je me présenterai contre lui pour des raisons morales ». De fait, Lang annonça sa candidature en tout début d’année… pour abandonner moins d’une semaine plus tard, immédiatement après que Lionel Jospin aura annoncé la sienne. Qui sait ? s’il avait persisté, le scandale eût été tel qu’il n’y aurait jamais pu y avoir d’affaire Fillon 22 ans plus tard…
Qu’importe. Jack Lang achevait à ce moment-là, son premier mandat à la mairie de Blois et s’apprêtait à se faire réélire facilement au mois de juin suivant. Il en fut tout autrement six ans plus tard, en mars 2001, quand il fut défait par le centriste Nicolas Perruchot. Ne s’attendant pas à une telle déconvenue, il fit contre mauvaise fortune bon cœur et dès le lundi matin de sa défaite, il convia ses futurs ex-administrés à un pot d’adieu pour le jeudi suivant, veille de l’élection du maire par le nouveau conseil municipal. Lang n’avait, évidemment, nulle intention de payer ces ultimes agapes de sa poche. La facture arriva donc dans le bureau de son successeur quelques jours plus tard ; 160 000 francs, plus de 24 000 € tout de même, que Perruchot refusa de faire endosser aux contribuables blésois. Entra alors en scène, un des plus vieux mécènes du parti socialiste en général et de Jack Lang particulier, Pierre Bergé. Probablement parce que Lang lui-même s’en épancha auprès de la presse locale, le pdg d’Yves-Saint-Laurent s’indigna de « l’inélégance [qui] le dispute à la vulgarité » de son successeur. Et, en guise de mesure de rétorsion, annonça mettre un terme aux généreux dons qu’il versait chaque année à la ville pour l’entretien de son sublime château Renaissance. De quoi inquiéter tout de même Nicolas Perruchot qui s’avisa de savoir combien Bergé avait donné pour le château. Pierre Bergé et la Fondation Saint-Laurent confirmèrent alors avoir versé 6 millions de francs, près d’un million d’euros, au cours des trois années précédentes.
Quelques jours plus tard, le 10 avril 2001, Le Parisien révéla que nulle trace de cet argent ne figurait ni dans les comptes de la ville, ni dans aucune délibération du conseil municipal au cours des dix dernières années.
Jack Lang paya les 160 000 francs au traiteur sans demander son reste…
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