Gérald Pandelon, avocat à Paris et à la cour pénale internationale livre ici son analyse au site Atlantico, suite à l’interpellation d’une militante du collectif féministe identitaire Némésis
Atlantico : Yona, une militante du collectif féministe identitaire « Nemesis », a été placée en garde à vue en raison d’une action engagée par son organisation. Elle a défilé, à Besançon, avec une pancarte sur laquelle était rédigé un message anti-immigration (« Libérez nous de l’immigration » et / « Violeurs étrangers dehors »). Que peut-on dire de cette affaire ? Sur quelle base juridique a-t-elle été placée en garde à vue ?
Gérald Pandelon : Quels sont les faits ? Yona, 18 ans, a été placée en garde-à-vue après avoir demandé l’expulsion des violeurs ressortissants étrangers et par conséquent l’exécution des OQTF (obligations de quitter le territoire français). Dans un monde normal, celui qui estimerait qu’un crime (le viol) perpétré par un voyou accompagné de la circonstance aggravante d’une présence en situation irrégulière est scandaleux serait regardé comme un citoyen ordinaire, ayant émis une opinion au nom de ses libertés individuelles constitutionnellement garantis, au premier rang desquelles celles de s’exprimer librement. La difficulté c’est que notre post-modernité repose sur une inversion des valeurs et, plus encore, sur une défaite de la vérité.
En effet, une observation sommaire de la situation ne nécessitant pas d’attester du titre de docteur en sciences politiques, devrait conduire à défendre la jeune Yona car, tout simplement, elle a dit ce qui devrait être dans un État de droit censé respecter les règles qu’il a lui-même édictées. D’ailleurs, un État de droit sans droit ne saurait exister. Or, des décisions aussi sévères que celles ayant conduit au placement en garde-à-vue d’une jeune militante au motif qu’elle aurait simplement révéler une vérité évidente soulève davantage la question de l’État du droit dans notre pays. D’où une interrogation : Notre démocratie est-elle en sursis sous l’emprise de l’État de droit ? Car l’affaire Yona, une militante du collectif féministe identitaire Nemesis, soulève la question de l’omnipotence judiciaire voire de la tyrannie exercée par certains magistrats, bien souvent plus sévères à l’encontre de personnes considérées à tort ou à raison de droite politiquement qu’à l’endroit d’individus, pour des faits similaires, marqués à gauche. C’est ainsi que dans La démocratie au péril des prétoires JeanEric Schoettl ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, aujourd’hui conseiller d’État honoraire, démontre avec brio à quel point les juges ont pris l’ascendant sur la loi. Le peuple français qui est censé voter les lois est dépossédé par un pouvoir non élu, prétendument transcendant : celui des juges. L’État de droit en démocratie c’est, normalement, depuis la Révolution française, le pouvoir du peuple législateur. Or tel n’est plus le cas. « Le droit se construit désormais en dehors de la loi, voire contre elle » souligne Jean-Eric Schoettl. Et d’ajouter : « Loin d’être ce tiers impartial, cette “bouche de la loi” que nous voulons encore voir en lui, le juge est partie prenante au jeu social et prétend souvent en transformer les règles ». Cet “impérium juridictionnel” se découvre chaque jour un peu plus et n’a fait que remplacer le caprice du prince par le caprice du juge.
Peut-on parler, dans la situation présente d’une rupture d’équité entre les citoyens ? Ce genre de mobilisation entraîne-t-elle généralement la mise en garde-à-vue des militants concernés ?
Ce genre de mobilisation pacifique n’entraîne que rarement de mesures de garde-à-vue ; d’ailleurs, même lorsqu’un certain nombre d’émeutiers s’avèrent d’une grande violence, ils peuvent échapper à des poursuites pénales. En effet, ce sont des « jeunes », issus des minorités « dominés », circonstances atténuantes qui ne sont pas retenues envers ceux qui disposent d’un profil un peu plus lisse. Bourdieu est passé par là… C’est ainsi qu’au pays des droits de / l’homme, les idéaux d’égalité et de liberté tranchent de plus en plus avec un réel souci d’équité. Ainsi s’explique l’influence du Syndicat de la Magistrature, fondé en 1968 et qui concerne un quart des magistrats aujourd’hui. Son ancien président, Oswald Baudot, déclarait en 1974 qu’il fallait non pas se contenter d’appliquer la loi mais au besoin l’infléchir dans le bon sens : celui de la justice sociale. « Soyez partiaux, déclarait-il. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas du même poids, il faut que vous la fassiez pencher un peu d’un côté… Dans vos fonctions ne faites pas un cas exagéré de la loi (sic) et méprisez généralement les coutumes les décrets et la jurisprudence » … Pour le philosophe Alain Laurent, cette idéologie est à la source de l’« angélisme pénal » dont souffre la justice française puisque le délinquant se transforme en innocent « victime à double titre d’un ordre social injuste et d’une répression policière puis de la prison ». ‘(En finir avec l’angélisme pénal, Les Belles Lettres, 2013). Quelle que soit l’interprétation que les juristes ont pu donner à ce texte, certains y voyant la marque la plus aboutie de l’impartialité du magistrat exprimée de façon ironique, on peut dire que le substitut du parquet de Marseille fut entendu si l’on admet que certains juges sont devenus des petits Torquemada. Certains d’entre eux ne sont plus là pour appliquer la loi mais pour incarner la prétendue conscience morale de la République voire leur propre idéologie sous couvert d’une technique juridique prétendument dictée par un souci d’objectivité et de neutralité. Pourtant, le délit d’opinion n’existe pas en démocratie. Autrement dit, l’infraction naît lorsque vous faites l’apologie de la haine envers un groupe humain ou que vous appelez au crime. Écrire sur les murs : “Tuer des juifs est un devoir”, comme cela s’est vu en France récemment durant la guerre entre Israël et le Hamas tombe sous le coup de la loi pénale pure et simple. Le NPA d’Olivier Besancenot a approuvé l’action du Hamas. Nous verrons bien si ce trublion sera interdit pour apologie de la terreur. Rappelons que Génération identitaire a été interdit alors que ce mouvement qui s’est mobilisé contre les migrants n’a jamais justifié le terrorisme, l’appel au meurtre ou l’insurrection, tandis que les Blacks blocks peuvent continuer de détruire des biens publics dans les manifestations sans être inquiétés outre mesure. C’est ainsi… Mais c’est un euphémisme que de constater qu’il existe objectivement dans notre douce France deux poids deux mesures… Prenons l’exemple de Mme Houria Bouteldja, idéologue des Indigènes de la République qui s’est félicitée de l’action du Hamas et qui jouit d’une étonnante impunité juridique si on compare sa situation à celle d’Alain Soral qui fut menacé de prison ferme pour des motifs similaires. Tous deux sont considérés à tort ou à raison comme des antisémites et antisionistes rabiques. Mais la première qui officie à l’Institut du monde arabe s’est vue défendue par Jack Lang tandis que le second est devenu un paria médiatique. Tous ces faits, la liste n’est pas exhaustive, témoignent d’une disparité criante de jugement et qui en dit long sur l’esprit qui règne au sein de certaines institutions. La France demeure organiquement liée à une gauche culturelle pourtant de plus en plus minoritaire dans l’opinion mais qui conserve les leviers du pouvoir, dans la sphère judiciaire, au sein de l’éducation dite nationale dans la plupart des jurys de concours où aussi brillants soient-ils sont disqualifiés des candidats considérés comme conservateurs au sein de l’espace culturel. Où est la neutralité tant prônée par les défenseurs du « pacte républicain » ? / A cet égard, la décision des juges du Conseil d’État de situer Marine Le Pen à l’extrême droite ne fait qu’illustrer la dissociation flagrante entre un esprit public qui a évolué à droite et une nomenclature qui se crispe sur ses habitudes sémantiques. Une situation en fin de compte malsaine qui renforce le phénomène d’indifférence civique que certaines prétendues élites dénoncent à travers le “populisme”. Quand les institutions ne représentent plus le peuple et sa diversité idéologique, celui-ci se désolidarise des institutions. Mais, honnêtement, comment en serait-il autrement ?
Le cas Yona dont-il est aujourd’hui question est-il le seul ? Ou constitue-til un bon exemple d’un problème plus récurrent, symptomatique ? Quels sont, auquel cas, les autres exemples dont il pourrait être utile de parler ?
J’observe avec intérêt que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes conséquences. Pourquoi Jean-Luc Mélenchon n’a-t-il jamais fait l’objet de mesures de garde-à-vue lorsqu’il soutient des régimes les plus sanguinaires ? N’est-ce pas en l’occurrence un réel appel à la haine ? On notera, au passage, que la classification du parti de ce personnage à l’extrême gauche n’a pas produit de protestations aussi véhémentes. Certes, le « lider Maximo » ne propose pas ouvertement l’instauration d’un régime autoritaire, bien qu’il soutienne des États comme la Chine mais il a, à plusieurs reprises, considéré que les manifestations de rue, même violentes, possédaient une légitimité politique intrinsèque. Aussi bien durant la crise des gilets jaunes que récemment, lors des émeutes qui ont éclaté après la mort du jeune Nahel, lui et ses proches ont légitimé la violence. Nous sommes alors bien dans le logiciel traditionnel de l’extrême gauche dont ne fait plus partie, depuis longtemps, le PCF. En effet, celui-ci, au début de son existence, dans les années 1920, prônait la violence révolutionnaire tout comme la rupture avec les institutions républicaines. Durant la guerre froide, il a renoué avec ses pratiques anti-démocratiques qui l’ont mis, des années durant, au ban de la nation. Puis, dès le processus de déstalinisation, ce Parti a réintégré le champ républicain en prônant l’union de la gauche. Le parti de Mélenchon a opéré un parcours inverse rendant d’ailleurs improbable toute union des gauches. De par son exaltation de la violence, voire de l’insurrection, celui-ci est devenu ou redevenu un parti d’extrême gauche. Une dénomination qui, contrairement à celle d’extrême droite, qui pourtant n’existe plus, ne provoque curieusement pas l’opprobre, notamment dans ces médias complaisants pour des intellectuels comme Alain Badiou, philosophe qui fait l’apologie du régime maoïste chinois responsable pourtant d’environ 70 millions de morts. De son côté, Edwy Plenel ne se gêne pas pour prétendre interdire ou chasser de l’espace hertzien un média comme CNews. À quel titre le faudrait-il ? Serait-ce un délit de se positionner à droite ? Nullement ! Alors pourquoi cet opprobre unilatéral ?
Dans quelle mesure peut-on penser que nous assistons aujourd’hui à une dérive dans la façon dont la justice est appréhendée en France ?
La tyrannie judiciaire exercée aujourd’hui par une minorité de magistrats risque d’aboutir à l’effet inverse de celui qui est recherché par le juge : la désobéissance civile face aux abus. La résistance à l’oppression figure d’ailleurs parmi les droits de l’homme reconnus par les déclarations de 1789 et de 1948, elle a été intégrée à la constitution française. Selon Henry David Thoreau, il est nécessaire d’être humain avant d’être sujet et son raisonnement s’appuie sur une distinction entre le juste et le bien. Le juste, entendu au sens du respect de la loi, ne mérite pas qu’on lui sacrifie le bien. De son côté, John Rawls, dans sa Théorie de la justice (1971), propose une justification de la désobéissance civile. Il la définit comme un acte public, non violent, contraire à la loi, mais perpétrée dans le but d’aboutir à une évolution de la loi. Il s’agit d’une action qui tend à dénoncer le non-respect des principes de la coopération sociale. La légitimité de cette désobéissance est conditionnée, selon lui, par le fait que les recours aient été épuisés en dépit de l’injustice persistante. Or, notre société est désormais marquée par une très forte défiance envers l’institution judiciaire, un nombre croissant de citoyens estimant même que des juges sont devenus dangereux car leurs pouvoirs sont bien souvent illimités alors que leurs compétences le sont moins. Il faudrait donc avoir le courage de résister face à cette dérive. Car dans certains cas la désobéissance a pu être pensée comme un devoir. C’est le cri d’Antigone dans la tragédie de Sophocle. Le respect suscité par les résistants n’est-il pas directement lié à leur capacité à désobéir à un pouvoir illégitime ? Peut-on pour autant institutionnaliser un tel droit au nom de la légitimité qu’on lui reconnaît sur le plan moral ? L’institutionnalisation n’est-elle pas contradictoire avec la notion même de désobéissance qui suppose une réaction imprévisible, spontanée, souvent émotionnelle ? Le 8 juin 1978, Alexandre Soljenitsyne affirmait devant des étudiants de Harvard que le déclin du courage était sans doute le mal le plus profond qui affectait le monde occidental, un phénomène qui concernait avant tout la couche dirigeante et intellectuelle dominante. 45 ans plus tard, face à cette tendance qui n’a cessé de se creuser, comment retrouver le sens du courage, du dépassement de soi, la force de dire « non » ! Penser, disait le philosophe Alain, « c’est dire non » (« Propos sur les pouvoirs”, § 139, 1925). Face à la résignation croissante de nos sociétés, aura-t-on le courage d’œuvrer à une pensée qui ne serait pas découplée du courage, du « thumos », comme le qualifiaient les Grecs du Ve siècle avant notre ère, au premier rang desquels Platon et Aristote ? Articulé à la question de l’émergence d’un pouvoir judiciaire minoritaire d’essence tyrannique au cœur de notre démocratie moderne, que faudrait-il imposer pour que certains justiciables, toujours les mêmes, n’aient plus affaire à un acharnement punitif ? Car il existe un puissant pouvoir de la justice et une faible justice du pouvoir. Pour y remédier, il conviendrait, face à l’abus d’autorité de quelques magistrats, de pouvoir plus facilement les mettre en cause, ce que prévoient d’ailleurs les dispositions tirées de l’article 432-4 du code pénal aux termes desquelles : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement. » Mais en pratique, qui a déjà osé utiliser cette disposition légale à l’encontre d’un magistrat qui aurait démontré par ses actes un zèle particulier à vouloir accabler un justiciable ? Pas grand monde…
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