Au-delà des bavardages stériles des commentateurs politiques d’une soirée électorale, une seule question se pose : le vote des Français lors du premier tour des élections législatives de 2017 a-t-il été intelligent ou l’un des plus stupides de notre histoire ? Un seul argument plaide hélas en faveur de l’intelligence : une majorité d’électeurs, suivant la logique de la Ve République, a offert au président élu une majorité à l’Assemblée Nationale pour lui permettre de mener la politique qu’il souhaite sans rencontrer d’obstacle ni même de retard. En revanche, les raisons de penser que la démocratie française ou ce qu’il en reste a connu un véritable trou d’air, hier, sont nombreuses.
D’abord, l’apparence rationnelle du vote se dissipe rapidement si on se demande si le vote a été positif ou négatif. S’il s’agissait d’un choix enthousiaste pour un homme et un projet, alors l’intention du fondateur de nos institutions serait sans doute respectée. Mais il n’en est rien. Un candidat peu connu, surgi tardivement, muni plus tardivement encore d’un programme flou, a été élu, en premier lieu grâce à une machination médiatique et judiciaire contre celui qui représentait une alternance claire, et ensuite face à Marine Le Pen, et avec une participation faible pour un second tour d’élection présidentielle. Dans les deux cas, le vote a moins consisté dans un choix que dans un rejet. Le premier tour des législatives qui est celui où l’on exprime une préférence, alors qu’on élimine ce dont on ne veut pas au second tour, a manifestement échappé à cette logique. Les électeurs ont été nombreux à s’abstenir, comme s’ils se désintéressaient du sujet, et ceux qui se sont exprimés ont surtout sanctionné les partis qui jusqu’à présent organisaient le débat démocratique. Autrement dit, la volonté de changement l’a largement emporté sur la perception du but poursuivi à travers celui-ci. Moins de 50% des électeurs ont voté, et leurs suffrages sont allés très majoritairement à des candidats qu’ils ne connaissaient pas, dénués de bilan et d’expérience, uniquement voués à soutenir le président, qui pourra donc faire ce qu’il veut. Donner à un homme jeune, qu’aucune action insigne au service de la France n’a illustré, de pareils pouvoirs relève d’une désinvolture criminelle. Lui permettre de gouverner avec une nuée d’amateurs ignorants du fonctionnement de nos institutions, accroît le sentiment d’une légèreté inouïe du corps électoral. Que penser enfin de l’irresponsabilité des citoyens qui ont laissé faire, sont allés profiter du beau temps sans trop savoir ce que ce caprice d’un jour allait leur faire subir, sur le plan fiscal notamment, pendant cinq ans. Pour le coup, ces élus « pour soutenir le président » ,et n’ayant guère le temps ni les moyens de faire autrement, ont une sorte de « mandat impératif » qui est un dévoiement dramatique de notre constitution. Le raz-de-marée du parti unique fondé sur la pensée unique dont le président est un adepte et la fuite des électeurs sont des signes inquiétants pour une démocratie en danger.
Le triomphe d’En Marche est, par ailleurs, une redoutable illusion. Loin de bâtir l’avenir avec des matériaux nouveaux, il inaugure une période d’incertitudes et de troubles dans un champ de ruines abandonné par les partis en capilotade. Les causes de leur effondrement sont très différentes. La chute du parti socialiste est une punition méritée. Chacun de ses passages au pouvoir s’est traduit par un décrochage de la France par rapport à ses partenaires et par une décomposition du corps social, miné par l’immigration, le communautarisme, la délinquance et la violence. L’anéantissement du parti socialiste serait donc une merveilleuse nouvelle si beaucoup de ses membres ne s’étaient fardés et reconvertis en « marcheurs ». La défaite cuisante des « Républicains » est moins justifiée. Ils représentaient l’alternance légitime dans une démocratie en bonne santé. Mais pour avoir été membre et élu de ce parti, je sais à quel point il est vérolé et se trouve aujourd’hui davantage victime de lui-même que de la politique qu’il a menée lorsqu’il était au pouvoir. Envahi par des cohortes d’arrivistes et de carriéristes, parcouru par les mots d’ordre de groupes de pression, il n’est plus depuis longtemps qu’une officine de placement électoral qui a abandonné ses valeurs au profit des modes et des calculs. L’ouverture à gauche après l’élection à droite de Sarkozy a été le sommet de cette désertion intellectuelle. Les ambitions des uns, les tropismes de gauche des autres ont entretenu la confusion et les tiraillements lors de la prétendue affaire Fillon. La trahison en faveur de Macron avant ou après l’élection présidentielle a découragé nombre de sympathisants. Les atermoiements du parti sur la ligne à suivre, de l’opposition constructive, ou non, à la collaboration ont achevé de décimer les rangs. Il est difficile de voter pour des élus dont on se demande s’ils seront dans la majorité ou dans l’opposition présidentielles. On remarquera en tout cas que la solidarité n’a pas manqué à Richard Ferrand en tête pour En Marche dans sa circonscription alors qu’elle avait fait défaut à Fillon chez Les Républicains. Enfin, ce parti paye aujourd’hui son obstination à refuser l’alliance à droite. Entre le soi-disant Front républicain et le plafond de verre de la stigmatisation, le Front National mobilise des électeurs qui votent ou s’abstiennent, par lassitude, lesquels manquent cruellement pour qu’une véritable politique de droite soit menée dans le pays. Le départ de Marion Maréchal et l’élection éventuelle de Marine Le Pen n’améliorent guère la situation.
Enfin, le détail des règles du scrutin est ignoré par les électeurs et cette ignorance accentue leur aveuglement. En s’abstenant massivement, ils ont favorisé l’élimination de beaucoup de candidats dont le score est inférieur au taux requis pour participer au second tour. Une triangulaire ne donnera pas forcément le même résultat qu’un duel. C’est un risque notamment pour le Front National qui pourrait avoir moins d’élus que le PS ou France Insoumise tout en ayant remporté plus de suffrages. De plus, le financement des partis par l’argent public favorise leur dispersion et leur concurrence. La multiplication des candidatures en est le fruit et brouille en partie les résultats. En troisième lieu, la fin du cumul des mandats a amené beaucoup d’élus de poids et d’expérience à se retirer. Leur retrait a favorisé le vote pour l’étiquette anonyme plus que pour la personne que l’on connaît. Cela a réduit la résistance à la vague et obscurci le jugement des électeurs. En conclusion, jamais sans doute une élection n’aura donné lieu à des résultats aussi clairs fondés sur l’épais brouillard dans lequel on a plongé les citoyens.
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