L’évolution de la politique vers un dilemme logique ou une impasse dans les faits est troublante. A la belle époque de la guerre froide, les idées étaient claires et confortablement simplistes : il y avait d’un côté des Etats totalitaires dont les plus puissants étaient souverains, mais où le droit des personnes n’existait pas, et de l’autre des démocraties libérales au sein d’Etats souverains respectueux des libertés individuelles. Bien sûr, il y avait des imperfections. Il n’était pas sûr que la souveraineté juridique de ces démocraties correspondît à une réelle capacité de la défendre militairement. Il y avait aussi des situations intermédiaires avec des Etats non totalitaires mais où la protection juridique des personnes était limitée soit par une dictature militaire, soit en raison de la pression culturelle, notamment religieuse. On pouvait aussi se poser la question de savoir qui était vraiment le souverain dans les Etats dits souverains : en droit, le Peuple si on se réfère au textes constitutionnels de nombre d’entre eux, mais en fait dans la plupart une oligarchie constituée par la classe politique soutenue par la classe dominante pour reprendre la distinction de Jules Monnerot. De la caste politique, le parti communiste, ou de la secte religieuse, le wahhabisme, jusqu’ à l’Etat profond américain ou au microcosme parisien, l’éventail était large avec un équilibre réalisé plus ou moins dans les démocraties libérales entre le pouvoir oligarchique et la puissance populaire par la régularité et la transparence des élections. Raymond Aron donnait alors une lecture éclairée du monde en opposant les régimes pluralistes aux régimes monopolistiques. La diversité des idéologies, la pluralité des partis permettent le choc des idées, exignt la liberté de penser, de s’exprimer, de se réunir et à travers ces droits fondamentaux protégés par la justice, fondent des sociétés où le peuple est relativement souverain puisqu’il contrôle le pouvoir par les élections, et où les individus jouissent de libertés dans les limites de la loi voulue par le peuple. C’était l’adéquation entre Etat souverain, démocratie, et Etat de droit.
Aujourd’hui, ce bel équilibre est renversé, ce discours est brouillé. Récemment, le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française vient d’enjoindre à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour obtenir la réduction de 40% des émissions nationales de gaz à effets de serre. Cette décision est correcte sur le plan du droit et loufoque sur le plan politique. Elle est un des nombreux exemples actuels qui montrent le divorce entre « l’Etat de droit » et l’Etat souverain avec comme toujours dans ce cas, le risque d’un enfant abandonné, en l’occurrence, la démocratie. A l’origine, c’est la ville de Grande-Synthe qui lance la procédure en la justifiant par les risques d’inondation auxquels serait exposée cette commune du littoral en raison du réchauffement climatique. Or la France est liée par l’accord de Paris, qui est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques, adopté par 196 Parties lors de la COP 21 à Paris, le 12 décembre 2015 et entré en vigueur le 4 novembre 2016. Depuis, dans le sillage de l’accord de 2015, notre pays s’est fixé des objectifs annuels pour mener la transition énergétique dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), et ainsi réduire de 40% ses émissions d’ici 2030 et jusqu’à 75% de ses émissions d’ici 2050. Manifestement, les ambitions ont été revues à la baisse, et le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat avait déjà mis l’Etat en demeure de prouver sous 3 mois l’efficacité de ses politiques publiques en vue de remplir ses engagements. Cette fois, peu satisfait de la réponse du gouvernement, le Conseil d’Etat, péremptoire, fixe, le 1er Juillet, un délai de 9 mois pour la mise en oeuvre des mesures, nonobstant l’argument selon lequel le Sénat ne terminait l’examen de la Loi « Climat et Résilience » que le 30 Juin ! Un « machin » dont la République a cru bon s’entourer, le Haut Conseil pour le climat, dénonçait les insuffisances de la politique menée. Une étude menée par le Boston Consulting Group appuyait la requête soutenue bien sûr par le groupe de pression « écolo » et ses associations. Un tribunal, constitué de magistrats, c’est-à-dire de fonctionnaires non élus, prend de haut pouvoir exécutif et pouvoir législatif qui procèdent de ‘élection !
Application du droit, cette décision est loufoque puisque la France produit moins de 1% du dioxyde de carbone mondial, grâce notamment à l’énergie nucléaire et à ses centrales, de Gravelines par exemple, à deux pas de Grande -Synthe. Sa politique ne peut avoir qu’un effet dérisoire, imperceptible sur le réchauffement climatique, si tant est qu’il existe et soit d’origine humaine. L’abandon du nucléaire, comme l’Allemagne, et notre stupide fermeture de Fessenheim, également voulu par les écolos, aurait un effet plus négatif que le « retard » des mesures gouvernementales. Certes, un gouvernement n’est pas à l’abri de mesures idiotes polluées par « l’air du temps », mais il doit pouvoir les corriger en fonction d’une meilleure appréhension du bien commun sans que des comités « Théodule » le contraignent par la voie de l’Etat de droit à respecter des engagements qu’il a eu tort de prendre. Une loi peut être abrogée, un traité dénoncé. Le fait qu’une idéologie portée par de puissants groupes de pression internationaux puisse ainsi dépouiller un Etat de sa souveraineté et mettre une démocratie sous le gouvernement des juges est une dérive gravissime. Une fois de plus elle appelle un rétablissement d’une véritable hiérarchie des normes. Qu’il y ait quelques droits fondamentaux des personnes inscrits dans la Constitution, transcrits par peu de lois, et permettant une action devant des tribunaux ordinaires, voilà en quoi devrait résider l’Etat de droit, mais l’Etat devrait demeurer souverain de déterminer son droit pour tout le reste, avec une légitimité d’autant plus grande que par le mécanisme de la démocratie directe, le peuple pourrait intervenir par référendum quand il le souhaite, dans son élaboration.
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