Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle autrichienne, on en connaît au moins un vainqueur en France : la malhonnêteté intellectuelle des media et leur instinct grégaire. La désinformation a probablement culminé avec l’anecdote suivante que n’ont pas entendue les auditeurs d’Europe 1 mais qui a sidéré les téléspectateurs d’i-télé, les deux media transmettant simultanément la même émission à laquelle était convié ce dimanche Bruno Le Maire. Arrive le sujet de la présidentielle autrichienne. Il est nécessaire, à ce stade de reproduire textuellement le dialogue. Le journaliste d’Europe 1, David Doukhan, pose la question suivante : « Jean-Claude Junker a déclaré cette semaine, “il ne peut y avoir ni dialogue ni débat avec l’extrême-droite si, d’aventure, elle devait accéder au pouvoir”. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ? »
Réponse de Bruno Le Maire : « Du coup, j’ai peur qu’il n’y ait plus de dialogue du tout en Europe au train où vont les choses et où progressent les partis populistes en Europe. Est-ce qu’on a pris conscience de ce qui se passe aujourd’hui en Europe ? je n’ai pas l’impression. Est-ce que les dirigeants ont pris conscience de la gravité de la situation politique ? non ». Ensuite, Le Maire essaie d’énumérer les progrès de l’AFD en Allemagne, rappelle que l’ÖVP et le SPÖ gouvernent ensemble l’Autriche depuis la guerre. Michaël Darmon, représentant d’i-télé, le coupe à son tour pour lui demander « qu’est-ce qu’on fait ? » il n’attend pas la réponse et demande : « est-ce qu’il faut rompre les relations diplomatiques avec l’Autriche ? » à cet instant, apparaît en surimpression en bas de l’écran, la mention suivante durant plusieurs secondes : « Bruno Le Maire sur l’élection présidentielle en Autriche : c’est un grand danger ». à croire que cette énormité a été judicieusement placée à cet instant-là pour détourner l’attention de la stupidité de la question de Darmon à laquelle Le Maire a répondu : « on va rompre les relations diplomatiques avec tous les états européens dans ce cas-là… » Darmon ne se démonte pas et insiste pour s’entendre répondre : « assez avec la politique au petit pied ! Assez avec ces politiques de courte vue qui ne prennent pas en compte que l’Europe est en train de se déliter sous nos yeux » ! Darmon essaie encore de lui couper la parole jusqu’à ce qu’il arrive enfin à exprimer sa pensée : demander à Jean-Claude Juncker et à Donald Tusk de proposer aux Européens un projet pour l’Europe dans lequel il y devrait y avoir selon lui une consultation des six pays fondateurs pour définir des frontières à l’Union, en y excluant la Turquie, pour définir une économie de marché régulée. Le tout à soumettre à referendum. Mais là, aucune surimpression pour résumer le propos de Le Maire. Le crétin chargé de la rédiger s’était certainement laissé intimider par la grande intelligence autoproclamée de Le Maire. Quant à Darmon, on aurait préféré qu’il demandât par exemple à Le Maire ce qu’il pensait, en tant que candidat à la présidence de la République, du respect de Juncker pour la souveraineté des pays membres de l’Union européenne. Par exemple : « en s’exprimant ainsi, Juncker ne fait-il pas du Brejnev avec son concept de souveraineté limité ?
Si la stupidité de la question de Darmon est une caricature de l’hystérie qui s’est emparé des dirigeants de l’Union européenne, la carte des résultats est, elle, une caricature du fossé que toute l’Europe a creusée entre les pays réels et leurs représentants. Sur les neuf État fédérés, sept ont donné la majorité à Norbert Hofer, seuls le Vorarlberg à l’ouest [où l’ÖVP très puissant a rallié Van der Bellen dans une région où le FPÖ a toujours été faible] et la ville-état Vienne, ont préféré Alexander van der Bellen. Et à l’intérieur de ces états, à l’exception de la petite ville d’Eisenstadt dans le Burgenland, toutes les capitales régionales ont donné la majorité à Alexander van der Bellen. Comme en France et dans toute l’Europe, plus il y a de fonctionnaires et d’intellectuels hors de l’économie réelle, plus on vote à gauche.
S’est probablement ajoutée la conséquence d’une maladresse de Norbet Hofer. Il s’est engagé sur une lecture plus présidentialiste de la constitution autrichienne qui donne au Président des pouvoirs théoriques, tel le droit de dissolution du parlement, dont jusqu’ici aucun n’a usé. Ce fut suffisant pour détourner nombre d’électeurs de l’ÖVP dont il ne faut pas oublier que le fonds de commerce est le système de la Proporz. Les fonctionnaires, les dirigeants d’administration centrale et d’entreprises publiques sont nommés en fonction de leur proximité avec l’un des deux partis prédominants, ÖVP et SPÖ. Le nouveau chancelier, Christian Kern, dirigeait la société publique de chemins de fer ÖBB, en tant que représentant du SPÖ. De même, la candidate indépendante, arrivée troisième au premier tour, Irmgard Griss, est pressentie pour diriger la cour des comptes au titre du contingent dévolu à l’ÖVP. Dans ces conditions, il est vraisemblable que bien des électeurs aient préféré le statu quo. Car l’information essentielle de cette présidentielle est qu’il s’agit d’abord d’une élection symbolique : c’est le chancelier, responsable devant le parlement, qui gouverne l’Autriche. Pas le président de la République, fût-il élu au suffrage universel. Non seulement la question de Darmon était idiote mais elle n’avait surtout aucun sens.
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