D’ordinaire, on attend les derniers jours de décembre pour balayer l’année qui s’achève et revenir sur les événements qui l’auront marquée. Permettez que nous prenions un peu d’avance en livrant, in extenso, cette rétrospective de 2019, remarquablement synthétisée par Michel Onfray sous forme d’un florilège de ce qui échappe aux politiciens, qu’ils nous gouvernent ou qu’ils fassent semblant de s’opposer. L’écume, ils la voient bien mais l’origine de cette guerre civile larvée, il préfère en détourner les yeux. Pour y répondre, on invente ce qui n’est même pas des rustines, parce que celles-ci ont au moins le mérite de colmater la brèche, mais des échappatoires. Un seul exemple, les dernières trouvailles de l’ineffable Guillaume Peltier, passé de Le Pen à Villiers et qui, aujourd’hui, député LR, imagine dans le pire enfer fiscal du monde, une taxe nouvelle, et au milieu de la gigantesque manipulation écologique qui ruine le contribuable, handicape nos entreprises, restreint nos libertés, ne trouve rien de mieux que de proposer « un tribunal international du climat »… Voilà comment on nous propose d’échapper au duel infernal et impuissant Macron-Le Pen. En attendant, la lecture de Michel Onfray, sous le titre « Convergence des luttes barbares », à défaut de nous détendre ou de nous rasséréner, aura le mérite de nous éclairer…
« Un temps j’avais commencé un petit journal sous forme de notules prises sur mon iPhone intitulé Des nouvelles du Bas-Empire.
J’y ai vite renoncé parce qu’il me fallait tous les jours y noter quelque chose et que j’estimais avoir mieux faire que de m’instaurer le chroniqueur de la décadence de notre civilisation dans son menu détail : entre les grand-mères qui peuvent être des pères comme les autres et une association néerlandaise qui lutte pour le droit des animaux humains à copuler avec les animaux non humains, en passant par les écologistes qui vantent les voitures électriques qui roulent grâce aux centrales nucléaires et le perpétuel massacre de la langue française chez les journalistes des chaînes d’information continue, gloubiboulga doctrinal et sémantique des présentateurs météo compris, sans oublier l’usage idéologique des publicités qui vend le modèle maastrichtien cosmopolite, bobophile et écolâtre en plus du produit, c’était sans fin…
Je voudrais juste ici ramasser quelques remarques sur la convergence des luttes barbares qui se dessine sans contestation possible sur le seul terrain de la culture : interdiction d’une représentation théâtrale à la Sorbonne, attaque d’une librairie à Paris, destruction d’une école à Béziers, censure d’un philosophe à Science-Po et de son homologue à l’Université de Bordeaux, incendie d’une structure d’éducation populaire à Chanteloup-les-Vignes.
La gauche autoproclamée qui sacrifie si souvent au psittacisme du retour des années trente, du spectre des année noires, de l’extrême-droite sollicitée hors de propos historique comme une insulte, de Vichy et de Pétain réactivés chaque matin pour salir un interlocuteur qui ne pense pas comme elle, de la Shoah et d’Oradour-sur-Glane utilisés comme des arguments d’autorité sémantiques et rhétoriques chez les macroniens, cette gauche que je mets dans le même sac, les socialo-communistes pour parler à l’ancienne et les macrono-mélenchonistes pour donner la formule de leur dernière progéniture, se tait sur le retour de cette barbarie. Elle verbigère, ça c’est sûr, elle blablate sur les plateaux télés, évidemment, elle cause, certes, elle ne fait d’ailleurs que ça, mais dans le vide : les macroniens promettent que tout ça va bientôt changer, pourvu qu’on vote pour eux la prochaine fois, les mélenchonistes prétendent que tout ça est la faute du manque de moyens mais que ça va aussi changer, pourvu qu’on vote pour eux la prochain fois. Or l’état des lieux, c’est à eux qu’on le doit depuis des décennies ! Car Macron vient de Hollande et Mélenchon de Mitterrand, Hollande venant lui même de Mitterrand… C’est un même petit monde qui se bat pour partager un même gâteau en laissant le peuple les regarder se battre pour savoir qui l’emportera. Les gilets-jaunes furent à leur départ forts de ce refus du double-jeu de Macron et de Mélenchon. Mais, chacun à leur manière avec chacun leur méthode, ces deux-là les ont néantisés.
Le Monde vient d’annoncer par erreur la mort de Bernard Tapie. Comme les autres, ce journal n’est pas à une fausse information près ! Il y a peu, ils se sont eux-aussi vautrés dans l’affaire Dupont de Ligonnès sans aucune autocritique sur le fonctionnement de leur boutique…
Or Bernard Tapie est plus vivant que jamais : cet homme que Mitterrand avait mis en selle et célébré comme le nouveau modèle de la gauche devenue libérale, cet homme qui fut l’autre héros des années « Vive la crise! » (l’émission qui vantait le giscardisme européiste en le prétendant de gauche, merci Yves Montand, merci Anne Sinclair, merci Serge July, merci Christine Ockrent, merci BHL, merci Laurent Joffrin…), ce chef d’entreprise véreux dont les socialistes faisaient le digne successeur de Jean Jaurès et de Léon Blum adoubé par un Mitterrand se disant « cablé », pour ne pas dire « chébran », chez Yves Mourousi la voix éraillée par la cocaïne, ce Bernard Tapie peut aujourd’hui voir le résultat de ce que lui et ses amis ont mis en place dans les années 1980. Ce qui advient ces temps-ci, cette convergence des luttes barbares, c’est le fruit du mitterrandisme qui a autant produit le mal que ce qui se présente aujourd’hui comme son remède : la famille Le Pen.
Précisons ces moments dont on aimerait que les macrono-mélenchonistes les stigmatisent eux-aussi comme autant de variations sur le thème des autodafés des années trente, des années noires, des années vichystes, etc…
Le 25 mars 2019, des étudiants se disant antiracistes obtiennent l’interdiction de la représentation d’une pièce de théâtre d’Eschyle, Les Suppliantes, dans le cadre du festival de théâtre antique Les Dionysies. Ces militants agissaient ainsi au motif que, dans la tradition ancestrale des masques pourtant, des comédiens blancs s’y grimaient en noir pour figurer des esclaves venues du Nil et que ce procédé dit black-face (en anglais, c’est mieux car on sait ainsi d’où ce délire nous vient…) relevait purement et simplement du racisme. Une cinquantaine de personnes se réclamant de la Ligue de défense noire africaine, de la Brigade anti-négrophobie et du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), ont bloqué l’entrée de l’université. Ils ont obtenu gain de cause. Allant plus loin et demandant réparation sous la forme d’un genre d’expiation publique, le CRAN a exigé « un colloque sur l’histoire du black-face en présence de ce metteur en scène, de la direction du centre culturel et du doyen de cette université ». Ce metteur en scène dont les associations allaient jusqu’à ne pas donner son nom par haine de sa personne s’appelle Philippe Brunet. On lui doit un travail de traducteur remarquable, dont une Iliade sublime.
Le 4 octobre 2019, la Nouvelle librairie, sise près du Luxembourg, a été vandalisée pour la seconde fois. La première, c’était en février en marge d’une manifestation des gilets-jaunes lors de l’acte XIII. Le responsable de cette librairie, François Bousquet, avait alors dit à Causeur : « Des gilets-jaunes se sont tant bien que mal interposés. Sans leur intervention, les dégâts auraient été encore plus lourds, non seulement parce que ce sont deux gilets-jaunes qui ont prévenu notre libraire de l’arrivée imminente des antifas, mais aussi parce qu’une poignée d’entre eux a défendu la librairie ». Les vidéos montrent que casqués, cagoulés, vêtus de noir, les attaques ont été menées par des blacks -blocs qui se présentent comme antifascistes tout en goûtant tout particulièrement les méthodes violentes du fascisme – bandes armées, recours à la violence, coups et blessures infligés avec des barres de fer, des matraques, dégradations de biens.
Le jeudi 31 octobre, dans la nuit, un groupe scolaire a été incendié à Béziers. Deux classes ont été entièrement détruites et dix-sept endommagées dans ce groupe appelé Les Tamaris. Un jeune homme de quinze ans a été interpellé trois jours plus tard. Connu des services de police, comme il est dit, il avait déjà été arrêté deux ans auparavant, il avait donc treize ans, pour avoir allumé des incendies lors de la soirée d’Halloween. Lors de son interpellation, le dimanche suivant, il jetait des pierres sur les policiers de la BAC. Il a reconnu avoir mis le feu à une voiture près de l’école mais, bien sûr, n’être pour rien dans la vandalisation du groupe scolaire.
Ce même jeudi 31 octobre, la philosophe Sylviane Agacinski a été empêchée de donner une conférence dans le cadre de l’université Michel-de-Montaigne à Bordeaux. Elle souhaitait aborder la question de « l’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique ». Un débat faisant suite à cette conférence (qui, avec son titre en judicieux clin d’oeil à Walter Benjamin, s’annonçait passionnante…) été évidemment prévu. Sylviane Agacinski est une philosophe de gauche dont le travail impeccable porte notamment sur les questions de PMA et de GPA. Elle milite, comme toute personne de gauche qui devrait se respecter, contre la marchandisation des corps rendue possible par le système libéral, gauche libérale comprise. Son mari, Lionel Jospin, qui fut un premier ministre socialiste digne, avait dit qu’il était pour une économie de marché mais contre une société de marché – la formule était un programme, c’était en même temps une formule, belle formule et beau programme. C’est dans cette logique que s’inscrit le travail de la philosophe. Des syndicats étudiants et des associations LGBT ont multiplié les menaces pour que cette conférence-débat n’ait pas lieu. La présidente de l’université leur a donné raison. Le 23 avril dernier, la même mésaventure était arrivée au philosophe Alain Finkielkraut. Un comité baptisé « Science Po en lutte – Institut (sic) Clément Méric » avait menacé de rendre la conférence impossible. Les autorités leur ont donné raison : Alain Finkielkraut a été lui aussi interdit de parole.
Dans la nuit du 2 au 3 novembre dernier, des violences à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines sont à l’origine de la destruction d’un immense chapiteau ayant coûté 800.000 euros au contribuable. Une trentaine de jeunes de la cité de la Noé cagoulés a préparé une opération commando qui leur a permis, après avoir allumé des incendies de poubelle, d’attirer pompiers et policiers dans un guet-apens. Les émeutiers ont alors pu lancer sur leurs victimes piégées les cocktails Molotov préparés et stockés dans les poubelles. Ils ont ensuite mis le feu à L’Arche, une structure d’éducation populaire dédiée aux arts du cirque et de la scène. A cette heure, deux individus dont un mineur de dix-sept ans, ont été interpellés.
Il y a là, en sept mois seulement, de quoi s’inquiéter du retour du fascisme, si l’on veut utiliser ce mot, mais en le montrant tel qu’il est : c’est un fascisme de gauche qui embarrasse la fameuse gauche macrono-mélenchoniste. On y trouve en effet tous ce que les islamo-gauchistes présentent comme des victimes du système et qu’ils célèbrent comme des héros à même de décomposer une civilisations qu’ils haïssent. Vandaliser une librairie de droite, censurer la représentation théâtrale d’un auteur classique blanc et européen, interdire de parole deux philosophes rationalistes et laïcs, brûler des écoles républicaines dans la ville d’un maire sans cesse honni dans les médias, Robert Ménard, incendier le chapiteau d’un dispositif culturel républicain : tout cela est très cohérent…
Ceux qui, à gauche, crient au loup fasciste ont bien raison, mais ils sont surtout tort de croire que la meute vit à droite : c’est chez eux que se trouve la tanière dans laquelle se reproduisent les petits.
On trouve dès lors ces MM (qu’on me permette cette abréviation pour macrono-mélenchonistes) aux côtés de ceux qui commettent ces forfaits : à la Sorbonne, des étudiants prétendument antiracistes qui sont en fait des racistes anti-blancs, à Paris de prétendus antifascistes qui ravagent une librairie mais qui utilisent les méthodes des groupuscules fascistes, à Bordeaux des militants LGBT qui prétendent travailler à l’augmentation des libertés libérales de vendre des enfants tout en restreignant les libertés d’opinion, d’expression et de réunion, à Béziers ou à Chanteloup-les-Vignes des délinquants qui marquent leur territoire (quand des élus travaillent à reconquérir ceux qui ont été perdus par la République…) et qui ne sont que les caricatures du système libéral qui veulent qu’on leur laisse faire leur business très rentable selon les lois du marché libéral le plus pur, chaque fois, on trouve des excuses à tout ce petit monde. Lequel ayant commis l’un de ces forfaits se trouve-il aujourd’hui trainé devant les tribunaux ? Je ne parle même pas de la prison…
Sur un plateau de télévision, la responsable de La France insoumise qui fut tête de liste aux européennes, appelée à s’exprimer sur l’incendie de ce joyau socio-culturel de Chanteloup-les-Vignes, a choisi de répondre en stigmatisant les violences policières…
Qui peut s’étonner qu’un sondage paru ce week-end dernier dans Le Journal du dimanche montre qu’en cas de présidentielles Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour et que, bien sûr, elle serait battue au second par Emmanuel Macron ? Qui peut encore douter qu’Emmanuel Macron n’ait pas intérêt à ce que les choses soient ce qu’elles sont, comme elles sont et qu’elles continuent à être comme elles sont ? Librairie vandalisée, représentation théâtrale interdite, écoles incendiées, philosophes bâillonnés, infrastructures culturelles dévastées et sang versé compris, car je n’ai parlé ici que de la culture, pour lui, tout est pour le mieux dans le meilleur de son monde !
Qu’on se souvienne que, dans les années vingt, Benito Mussolini venait de la gauche, que dans national-socialisme il n’y avait pas que le mot national, que du communiste Doriot au socialiste Déat en passant par le radical-socialiste René Bousquet, la collaboration fut aussi une affaire de gauche, que Drieu la Rochelle, collaborateur notoire, a longtemps hésité entre Berlin et Moscou, que le philosophe radical-socialiste Alain trouvait dans son Journal de grandes vertus au succès de Hitler et des vices à la réussite du général de Gaulle, et qu’à regarder la paille fasciste dans l’œil de son voisin on ne voit pas la poutre plantée dans le sien.
Que le fascisme menace, c’est un fait : mais il n’est pas là où ses amis et ses idiots utiles disent qu’il se trouve.
Michel Onfray
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