Le professeur Jean-Claude Casanova a révélé que Valéry Giscard d’Estaing n’appréciait pas vraiment qu’on le comparât à Emmanuel Macron. Comme on le comprend ! ce rapprochement entre un authentique démocrate et un pur technocrate saint-simonien qui préfère administrer les choses que gouverner les hommes est prodigieusement injurieuse pour le premier
Quoi de commun entre un président élu avec une participation jamais égalée depuis 46 ans, de plus de 87 %, et celui qui, après une manipulation gigantesque et face à une candidate pitoyable, a récolté 43 % des inscrits avec une abstention de plus de 25 %, aggravée par plus de 11 % de bulletins blancs et nuls ? Quelle comparaison possible entre un chef de l’État qui a laissé toutes les élections se dérouler aux dates prévues et celui qui cherche systématiquement des artifices pour déplacer les échéances sous prétexte de virus chinois ? entre celui qui a rajeuni le corps électoral contre son propre intérêt et ouvert la saisine du Conseil constitutionnel à l’opposition, membre de l’Académie française et celui qui invente des conventions “citoyennes”, dont l’intitulé est une insulte à la langue, pour court-circuiter le parlement, qui multiplie les lois contre la liberté d’expression, qui envoie un ministre intimer aux députés de sortir et qui séquestre un peuple entier en ruinant le pays ? entre celui qui a donné l’indépendance énergétique à la France, accéléré le rattrapage du retard en autoroutes et dans le téléphone, lancé le train le plus rapide du monde et celui qui démantèle, avec constance, tous les atouts de la France : le nucléaire marche et ne pollue pas, on ferme les centrales ; les constructeurs automobile français sont les champions du diesel, on tue le diesel et on promeut des engins électriques équipés de batteries chinoises. La liste des rapprochements imbéciles et inopportuns meublerait une encyclopédie entière, en tout cas bien davantage qu’il n’en faudrait pour que Valéry Giscard d’Estaing eût des motifs de s’en renfrogner.
Le dernier homme d’État…
Valéry Giscard d’Estaing pourrait rester, dans l’histoire, comme le dernier homme d’État à la tête du pays si l’on s’en tient à la distinction qu’opérait le théologien Freeman Clarke au XIXe siècle : « le politicien pense à la prochaine élection, l’homme d’État à la prochaine génération ». Sans conteste, VGE avait l’avenir du pays en tête et se préoccupait peu des échéances. Il n’avait pas écouté les conseils de dissolution pour convenance en 1974. Et, alors que les augures lui annonçaient la débâcle en 1978, il fut le dernier président, il y a bientôt 43 ans, à avoir remporté de vraies élections législatives et non le simulacre auquel nous sommes astreints depuis vingt ans, consistant pour le président élu à éloigner des urnes les électeurs de ses adversaires et désigner un parlement à sa botte six semaines après son élection. La campagne de 1978 fut gagnée alors que le Premier ministre, Raymond Barre, refusait de concéder le moindre arpent à la démagogie effrénée, pierre angulaire de la campagne des frères ennemis, Mitterrand et Marchais.
Démonstration éclatante que pour remporter l’adhésion populaire, il est infiniment plus rentable de tenir un cap que de regarder les sondages, de penser à la prochaine génération plutôt qu’à la prochaine élection. Or, depuis 1981, les médias ne parlent que de tactique politicienne, jamais de vision ni de projet à moyen et long termes. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle les majorités sont régulièrement défaites à l’échéance. Seulement préoccupées de ne mécontenter personne, au lieu de gouverner, elles délèguent leurs prérogatives à des hauts fonctionnaires interchangeables qui font ce qu’ils savent faire : administrer le quotidien.
Pas davantage qu’en 1978, VGE ne fut victime, en 1981, de la démagogie de Mitterrand et Marchais. Un peu de celle du RPR, lorsqu’un Bernard Pons s’exclama qu’on ne verrait jamais le bout d’un tunnel de la crise que le Premier ministre avait conçu circulaire, mais surtout de sa trahison, ainsi que de manipulations médiatiques, tel l’interminable et burlesque feuilleton des diamants de Bokassa.
… avec ses erreurs
Valéry Giscard d’Estaing reconnu comme réformateur, a, évidemment, commis des erreurs. Il s’est repenti de la pire d’entre elles : le regroupement familial a donné le signal de la colonisation dont la France est aujourd’hui victime et qui est lourde de menaces pour son existence même. Il en a assumé la responsabilité mais est-il le vrai coupable ? Là non plus, il ne faut pas craindre de tourner les regards plutôt vers Chirac. C’est lui, alors Premier ministre, qui avait signé le décret de 1975 sur lequel ne figure pas la signature du président Giscard d’Estaing. Raymond Barre avait annulé ce décret en 1977 mais le Conseil d’État, saisi par un lobby pro-immigration, a annulé l’annulation. Le gouvernement aurait pu recourir à la voie législative. C’était impossible pour la seule raison que Chirac, toujours lui, et ses parlementaires RPR, menaient une guérilla bruyante et implacable au gouvernement de Raymond Barre.
On peut aussi imputer à Valéry Giscard d’Estaing le tort d’avoir fait supporter la facture des deux chocs pétroliers aux entreprises plutôt qu’aux Français. S’est ensuivie une dérive de la dépense publique, jamais interrompue depuis. Lui-même avait théorisé qu’un pays où les prélèvements obligatoires dépassaient les 40 % du PIB, était un pays socialiste. Ce cap fut franchi sous son mandat parce que VGE refusait, au grand dam de Raymond Barre, la perspective que le pouvoir d’achat des Français fût amputé. Cette générosité confinait à une forme de naïveté chez ce président qui en devenait incapable d’imaginer que d’autres eussent des desseins moins nobles. Même après qu’une permanence électorale de Chirac en 1981 lui eut répondu qu’il fallait voter Mitterrand au second tour, il eut du mal à admettre que son ancien Premier ministre voulait sa perte depuis 1976. Il n’en fut définitivement convaincu que lorsque François Mitterrand, quelques jours avant sa mort, lui raconta en décembre 1995, que c’est chez Edith Cresson en 1980, que Jacques Chirac lui demanda textuellement : « il faut nous débarrasser de Giscard, c’est un danger pour la France ».
… et sa naïveté
Naïf, le vainqueur de Kolwezi, triomphant libérateur des otages français, le fut assurément en politique étrangère. François Mitterrand eut ainsi beau jeu de le traiter de « petit télégraphiste » de Varsovie lors du débat d’entre-deux-tours de 1981. Quelques mois plus tôt, VGE qui n’avait jamais craint le ridicule, avait présenté comme une grande victoire que Brejnev l’eût assuré, à Varsovie, qu’il retirerait quelques soldats de l’Afghanistan qu’il venait d’envahir. Mitterrand avait sûrement oublié ce quolibet lorsqu’il se montra bien plus grotesque encore dix ans plus tard. À l’été 1991, il se présenta à la télévision ni plus ni moins que comme l’attaché de presse d’un certain Guennadi Ianaëv qui venait de tenter un coup d’État pour renverser Mikhaïl Gorbatchev et rétablir la bonne vieille dictature féroce de Brejnev.
Géopoliticien ingénu, VGE justifie dans Le Pouvoir et la vie, l’accueil de l’ayatollah Khomeiny en France à l’automne et l’hiver 1978-1979 par la demande du Shah d’Iran. C’est certainement vrai, celui-ci ne sachant quoi faire de son sinistre opposant. Mais cela n’excuse en rien, qu’à la remorque du calamiteux président américain Jimmy Carter et de la quasi-totalité des dirigeants occidentaux, VGE ait lâché cet ami de la France et solide rempart contre l’islam à qui on donna là, le signal de sa renaissance. C’est de 1979, en effet, que date le renouveau de l’impérialisme islamique. Les dirigeants des démocraties occidentales se sont tous déshonorés cette année-là, laissant au seul président égyptien, Anouar El-Sadate, le soin d’accueillir le shah exilé. Il le paiera de sa vie deux ans plus tard.
En 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait déjà une longue carrière derrière lui, commencée le 2 janvier 1956. Ce jour-là, il fut élu député en même que Jean-Marie Le Pen qui allait le rejoindre en cours de législature sur les bancs du groupe des Indépendants, le CNIP. Dès l’avènement de la Ve République, il devint secrétaire d’État auprès du ministre des Finances, Antoine Pinay. Il le restera après le départ de celui-ci un an plus tard, en janvier 1960, avant de succéder à Wilfried Baumgartner comme ministre de plein exercice en 1962. De cette époque date l’envol politique de VGE. Se ralliant à de Gaulle, après la censure votée par Antoine Pinay et le CNIP contre le referendum d’élection du président de la République au suffrage universel, il provoqua la scission du plus vieux parti de la droite française en fondant les Républicains indépendants. Le CNIP ne s’en remit jamais.
Trois ans plus tard, VGE, refusant d’abandonner le ministère des Finances à Michel Debré pour un portefeuille de deuxième division, l’Équipement, quitta le gouvernement en janvier 1966 après la réélection de de Gaulle. S’ouvrirent trois années de soutien critique au gouvernement, le « oui, mais » et les « cactus », avant le referendum de 1969 que les gaullistes lui reprocheront toujours d’avoir torpillé. La réalité est plus nuancée. VGE ne s’est jamais prononcé pour le non, il a simplement énoncé cette phrase : « Avec regret mais avec certitude, je n’approuverai pas ». C’était un appel à l’abstention, lui-même ayant déclaré plus tard avoir voté blanc. Mais la vérité oblige aussi à dire que le projet de réforme n’était pas exempt de défauts. Le Sénat perdait bien de ses prérogatives et, surtout, le texte prévoyait une modification de l’article 89 de la constitution qui rendait possible une modification de celle-ci avec la majorité des 2/3 de la seule Assemblée nationale. Ce qui aurait pu laisser la porte ouverte un peu à n’importe quelle aventure.
Que le Général de Gaulle ait choisi VGE, si jeune, alors qu’il n’était pas un gaulliste historique, pour en faire son grand argentier, démontre combien il avait perçu en lui, les qualités d’un homme d’État. Le dernier, à ce jour, à la tête du pays. Le comparer à Macron est une offense à sa mémoire et un insondable mépris des Français qu’on invite à gober une pareille imposture. Avec lui, après Albin Chalandon en juillet dernier, disparaît le dernier ministre de plein exercice du Général de Gaulle.
Jacques Trorial, secrétaire d’État à l’Éducation dans le gouvernement de Maurice Couve de Murville en 1968-69, après la disparition de Jacques Chirac, secrétaire d’État de 1967 à 1969, est l’ultime survivant d’un gouvernement présidé par de Gaulle.
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Bozec
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Il était grand temps que quelqu’un remette les pendules à l’heure et les vérités de la grande histoire de ce président à celle de la France. Certes, il eut des failles et des faiblesses dans sa présidence, mais que de grandes choses ont été accomplies alors… Des réformes oubliées, des actions pietinées, honteusement vilipendées par une populace haineuse au soir du 10 mai 1981. Ce jour là, sous les quolibets, un grand homme d’état marchait… Je garde à la mémoire la désolation, la tristesse et la rage impuissante de mes 19 ans. Merci, Monsieur le Président. Merci Tarik pour cet hommage.
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