Avocat au barreau de Paris, Gérald Pandelon est docteur en droit privé-sciences criminelles et docteur en science politique, diplômé de Science-Po. Chargé d’enseignement, auteur de plusieurs ouvrages, il est également membre du Bureau Politique de La Droite Libre. Il nous livre ici, dans un interview d’Atlantico, son commentaire sur le projet de loi sur les violences sexistes.
Atlantico :Le projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles sera présenté en conseil des ministres ce 21 mars. Il inclue notamment son volet le plus médiatisé relatif au harcèlement de rue. Selon les termes actuellement connus, cette nouvelle infraction serait passible d’une amende de 4e classe, de 90 à 750 euros. Cependant, au regard la difficulté que pourrait rencontrer les autorités à constater et à prouver les faits d’une telle infraction, ne peut-on pas voir dans une telle réforme un projet plus symbolique politiquement qu’efficace pour les victimes ?
Gérald Pandelon : Oui, effectivement il s’agit davantage d’un projet empreint de symbolique que destiné à recevoir, dans les faits, une application concrète. En effet, il sera particulièrement ardu, d’abord, de rapporter la preuve d’un quelconque harcèlement ; ensuite,
à partir de quand devra-ton considérer qu’il s’agira effectivement d’une infraction punissable ou pas, à partir de quel seuil, et sur le fondement de quels faits précis ? Un simple propos un peu insistant devra-t-il être nécessairement poursuivi ? En pratique, au-delà de la demande, fort légitime, de ne pas faire l’objet d’un harcèlement dans la rue et qu’à la suite notamment de l’affaire Weistein les pouvoirs publics aient voulu légiférer à la hâte, le texte ne pourra en pratique être appliqué car, d’une part, il se heurtera à la réalité (comment démontrer une culpabilité fondée sur des mots prononcés dans la rue ?), d’autre part, et plus fondamentalement, au principe de présomption d’innocence. En effet, sauf à admettre une définitive présomption de culpabilité pour toute parole déplacée qui serait tenue dans la rue, lesdits propos ne pourront être fondés que sur d’éventuels témoignages concordants de témoins, lesquelles déclarations ne vaudront, sur le plan juridique, qu’à titre de renseignements et non comme des preuves irréfutables. Par suite, c’est le volet subjectif qui l’emportera sur la nécessaire objectivité dans la production des preuves ; le risque existe même que certains « faux harcelés » n’en viennent à se venger de « prétendus harceleurs » pour obtenir quelque indemnisation de ces derniers, pour des motifs par conséquent très largement étrangers à un quelconque harcèlement. Que le faux harcèlement de rue se transforme en pratique en un juteux business… Imaginons ce qui pourra se produire en prenant un dialogue fictif entre deux petits escrocs. « Des fins de mois difficiles ? Si on se faisait un petit – faux – harcèlement ? Non, c’est une rumeur ! Pas grave, il en restera toujours quelque chose ! Et puis c’est sanctionné maintenant ! Cela peut rapporter quelques centaines d’euros ! C’est une amende de la 4 ème classe, dans le pire des cas on pourra, par chantage avec la fausse victime, prendre 90 Euros, dans le meilleur, 750 euros ! » …
Dès lors, pour louables que soient, comme souvent, les intentions, le projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles, notamment dans son volet le plus médiatisé relatif au harcèlement de rue, constitue la voie ouverte à la délation, aux faux témoignages, en définitive à une justice prise en otage par des manipulateurs. En effet, la juridiction sera encore davantage engorgée alors même que précisément notre Garde des Sceaux formait le vœu, dans sa réforme souhaitée de la procédure pénale, qu’elle fût précisément désengorgée… Surtout, et encore une fois, on ne comprend toujours pas la cohérence du dispositif. Car ce n’est pas en sanctionnant les « petits prédateurs de rues », plus abrutis et mal élevés que réellement dangereux, que l’on changera les mentalités. Je ne crois pas aux vertus d’un texte législatif pour susciter une utilité sociale du respect ou corriger des mentalités, mais davantage en l’éducation et au civisme. D’ailleurs, et dans l’hypothèse où une jolie femme déciderait de se rendre coupable d’un harcèlement envers un homme (cela peut également arriver…), faudra-t-il poursuivre pénalement ladite sybarite puisque le texte demeure silencieux sur ce point ? Au surplus, qui pourra croire un seul instant, même si cela est vrai, que c’est effectivement cette femme qui aura harcelé et non l’homme, puisque c’est essentiellement l’homme qui est en accusation ? Personne, en pratique. Le risque encore et toujours c’est qu’au nom d’une transparence absolue, apanage des sociétés totalitaires, nous n’en arrivions, sous couvert d’un texte moralisateur, à une grave dérive, celle où règnerait définitivement une ère du soupçon généralisé, une ère du soupçon d’autant plus grave dans une France déjà déchirée, car les français, s’ils aiment une abstraction qui se nomme la France, ne s’aiment pas, n’aiment pas les français, entité pourtant plus concrète. Loin de nous respecter, le risque c’est que nous nous éloignions encore davantage les uns des autres alors que tout devrait être fait précisément pour que nous nous rapprochions, que nous nous rapprochions dans une France ô combien divisée… N’est-ce pas d’ailleurs cela la citoyenneté dont on nous rebat les oreilles depuis toujours ? Que sous couvert de respect, il ne faudrait pas instruire le procès de l’homme en tant qu’Homme, en contribuant encore à lui ôter ce qui fait précisément, de façon tautologique, l’Homme, dans sa singularité, et ce qui le distingue précisément, encore (mais pour combien de temps encore ?), d’une femme, en contribuant à altérer encore sa virilité, déjà fort atteinte par notre modernité, par nos sociétés individualistes castratrices, qui loin de promouvoir ses qualités guerrières et promouvoir sa sexualité contribuent à nier son identité, autrement dit à susciter encore davantage, c’est la théorie du genre, une indifférenciation sexuelle, l’homme se féminisant, la femme se masculinisant, brouillant ainsi gravement nos identités, hétérogènes, souvent complémentaires, mais jamais égalitaires. Cette loi c’est au fond la vengeance de la culture sur la nature.
Quels sont également les risques de parasitage que pourrait provoquer une telle mesure sur le droit existant ? Quelles sont les infractions que pourraient déjà invoquer les victimes de tels faits ?
Comme il sera, en pratique, particulièrement difficile de rapporter la preuve d’un prétendu harcèlement subi dans la rue, les personnes qui s’estimeront victimes desdits agissements et qui les dénonceront devront nécessairement obtenir la condamnation de leur « harceleur potentiel » car, dans l’hypothèse inverse, ils pourront être poursuivis pénalement par ricochet du chef de dénonciation calomnieuse. Par conséquent, non seulement le délit présumé sera difficile à établir, mais, en l’absence de preuves irréfutables, les faits dénoncés, qu’ils soient vrais ou faux, pourront en cas d’absences de poursuites se retourner contre la présumée victime, qu’elle ait été une victime de parfaite bonne foi ou d’ailleurs de mauvaise foi. Bref, outre le désordre pénal, lesdites plaintes seront rapidement frappées d’inefficacité. Ce qui fera d’ailleurs le bonheur des Cabinets d’avocats car il sera plus aisé d’obtenir un abandon des poursuites… Un vrai business en perspective…
Que révèle cette situation ou une nouvelle loi ne semble pas pouvoir répondre au problème posé ? Que masque cet empilage législatif des difficultés posées par le »harcèlement de rue » ?
Cet empilage législatif témoigne encore, si besoin était, de la primauté de la loi sur la liberté dans notre beau pays. En effet, les français aiment légiférer, ils n’aiment pas la liberté ; pourtant, ils ne comprennent toujours pas que c’est précisément la démultiplication des lois qui est un obstacle aux libertés surtout dans un pays comme le nôtre où, à rebours des décisions qu’il faudrait prendre, nos gouvernants attentent constamment à la liberté par la loi, au nom, toujours, de l’égalité, plus précisément d’une ambition, voire d’une passion pour l’égalité, fut-elle au détriment de ceux qui les suscitent.
Car ce sont les mêmes qui, en privé, se plaignent que la liberté soit de plus en plus entravée dans notre pays, que nous ne puissions plus rien faire sans encourir de sanctions, qu’en d’autres termes, tout soit interdit, que tout soit réglementé, que la liberté soit étouffée, qui, devenus acteurs publics, contribuent à encore la limiter ! A croire que l’homme politique français est par essence schizophrénique, puisque toute son action est orientée vers une limitation des libertés alors qu’en privé, il exècre cette absence de libertés et en subit la limitation non seulement dans sa vie individuelle mais également en sa qualité de citoyen. Mais, en définitive, puisque notre pays n’est fondé que sur des interdictions, nombreuses, et de plus en plus, la question se pose légitimement de savoir si nos gouvernants successifs aiment vraiment le peuple qui les a élit, puisque, en pratique, tout est fait pour le rendre malheureux. D’ailleurs, les politiques se posent-ils la question du bonheur de leur peuple ? En réalité, en cédant uniquement à des intérêts catégoriels, à des minorités, le pouvoir s’écarte de la volonté générale, non seulement au préjudice du plus grand nombre mais également à leur propre préjudice car nos édiles devraient enfin comprendre qu’à force de légiférer sur des textes absurdes et attentatoires aux libertés, ils seront invariablement, tôt ou tard, battus aux prochaines élections. A croire que ce n’est pas la compétence et l’innovation qui est requise pour faire carrière mais précisément l’incompétence et l’esprit grégaire qui en est la marque, la grandeur paradoxale au fond, du pouvoir.
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