L'occident doit prendre très au sérieux l'auto-proclamation le 29 juin dernier comme Calife d'Abou Bakr al Baghdadi qui jusque là était le chef de l'état islamique en Irak et au Levant (EEIL). Il n'avait précédemment fait allégeance qu'à El Qaïda dans le combat entre les sunnites, évincés du pouvoir, et les chiites à qui ce pouvoir était échu après la chute de Saddam Hussein, suite à la deuxième intervention militaire américaine dans ce pays. Son prédécesseur s'était lui aussi proclamé Calife, mais sa mort rapide mit fin au rétablissement théorique de cette instance de l'Islam en déshérence depuis que Kemal Atatürk avait, en 1922, laïcisé l'organisation politique de son pays pour le démocratiser.
Les derniers Califes étaient tous turcs, mais leur influence sur le reste du monde musulman n'a jamais eu, et de loin, l'ampleur des premiers successeurs de Mahomet dont il faut se rappeler que le premier était Mahomet lui-même et que le théâtre de son magistère était l'Arabie.
Sa succession divisa ses fidèles entre deux califes dont le premier était son oncle et beau-père Abou Bakr, suivi par 90 % des musulmans de l'époque, et l'autre son gendre, Ali, puis les deux fils de ce dernier. Ceux qui suivirent Abou Bakr se déclarèrent sunnites, les autres chiites.
Ce n'est dont pas par hasard que quinze siècles plus tard, après un parcours historique qu'il n'est pas utile de retracer ici – si ce n'est pour dire que les Califats sunnites furent les plus brillants et les plus durables – leurs héritiers spirituels se retrouvent face à face dans et autour des pays qui entourent celui où l'Islam est né.
Certes les chiffres ne sont pas tout, mais ils est important de les connaître quand on s'intéresse au devenir politique et peut-être militaire de toute cette zone géographique et de son extension possible : un conflit militaire qui concernerait aussi les pays occidentaux où il est déjà largement représenté via les immigrations musulmanes incessantes qui s'y sont installées.
Les chiites sont 75 % à Bahreïn, 54% en Irak, 30% au Liban, 27% aux Emirats, 25% au Koweït, 20% au Qatar, en Afghanistan et au Pakistan et 10 % seulement en Arabie saoudite. Mais 98% en Iran, seul grand pays tenté par cette écrasante majorité chiite de concurrencer dans cette zone l'influence politique des sunnites sur ses voisins. Ils pourraient le faire en s'appuyant sur ceux de leur mouvance vivant dans les pays où ils sont minoritaires et même là où ils sont majoritaires (Bahreïn) mais y sont gouvernés par des sunnites.
La guerre déclarée par Saddam Hussein à l'Iran a mis en branle un processus dont résultent les déséquilibres actuels. La seconde guerre contre l'Irak, initiée par les USA et qui a abouti à son renversement, a suscité l'apparition d'une résistance armée des sunnites d'Irak, soutiens de Saddam Hussein lesquels, bien que minoritaires, occupaient sous Saddam tous les postes politiques dans le pays. La guerre qu'ils engagèrent, favorisée par l'incapacité des chiites ayant accédé au pouvoir à rétablir l'ordre dans le pays, a vu ainsi les sunnites se rallier à El Qaïda et reprendre le contrôle d'une large partie du pays.
Avec le départ des troupes américaines, tout cela fut progressivement abandonné par l'armée et l'administration au pouvoir qui s'est effondrée comme un château de cartes devant la férocité de combattants se réclamant d'Allah. Abou Baker el Baghdadi (un prénom adopté comme symbole : celui du premier calife sunnite ) dispose maintenant de moyens considérables, d'argent, et surtout d'une pugnacité féroce qui lui permit de voler de victoire en victoire, avec des troupes galvanisées par la foi la plus sauvage.
Son titre de Calife, le fait qu'il soit apparu alors qu'il dissimulait jusqu'ici son image, tout indique que nous sommes loin de l'organisation, assez modeste en fait, connue sous le nom d'El Qaïda, qui se bornait à susciter des vocations de djihadistes qu'elle formait et endoctrinait directement et indirectement et dont l'exploit majeur fut le fameux 11 septembre qui frappa les Etats-Unis. Exploit qui, en même temps, suscita dans les pays occidentaux des mesures propres à identifier, avant leur passage à l'acte, les djihadistes potentiels, ce qui en réduisit progressivement l'efficacité à presque rien.
Avec le "Calife" Abou-Baker El-Baghdadi et son exigence d'une allégeance de tous les musulmans de sa zone d'action qui vise l'ensemble des pays arabes, nous sommes en présence d'une situation qui présente une analogie certaine avec le Mein Kampf d'Hitler que l'occident n'avait absolument pas pris au sérieux. Au point de lui avoir concédé les honteux accords de Munich qui lui donnèrent une sorte de blanc seing pour lancer son entreprise de conquête de "son espace vital" en Europe.
On connaît la suite ! Jusqu'il y a peu nous en étions aussi restés contre ce nouveau calife dans le domaine de l'incantation. Il a fallu sa prise de contrôle du barrage de Mossoul, qui lui eût permis d'inonder une partie du pays et se rendre ainsi maître de Bagdad, pour que les Etats-Unis, qui y possèdent déjà toute une infrastructure économique et une antenne de ses services spéciaux, se décident à utiliser des frappes aériennes pour intervenir au Kurdistan autrement que par des mots. Mais il est bien tard ! Déjà un nombre très important de Chrétiens (130.000 à ce jour sur 500.000), d'Yezidis (plus de 100.000 sur 700.000) ont été chassés des zones qu'ils occupent depuis toujours, des églises incendiées, les autres lieux de culte profanés et détruits, se réfugiant dans les montagnes pour échapper aux assauts sauvages préparés par des exécutions collectives, le viol de femmes et les déchaînements de fous d'Allah qui rêvent de mourir pour gagner Son paradis. Jusqu'ici seule la grande Bretagne, alliée indéfectible des États-Unis, participait quelque peu à l'opération U.S. Quant à la France, elle a, avec d'autres, pris en charge l'assistance humanitaire des populations en détresse et, depuis peu, fournit également des armements aux Kurdes dont les moyens sont, quantitativement et qualitativement, très en dessous de ceux dont dispose le Calife qui, lui, a récupéré des armes sophistiquées : chars, blindés légers et fusées, abandonnés sans combat par l'armée régulière de Bagdad.
Le problème reste donc entier. Une solution politique réintégrant les sunnites, les kurdes et des chrétiens au niveau national prendra du temps et ce n'est pas celui de la guerre ! D'autant que Massoud El Barzani, qui a arraché par un combat de trente années l'autonomie de sa région au gouvernement irakien et dispose d'une part importante des gisements du pétrole irakien dans une zone située hors de ses frontières historiques, rêve d'une indépendance qui pérenniserait cet acquit que lui conteste Bagdad. Acquit que les Américains comme nous-même soutiennent sans le dire, car ce pétrole-là coule à bas prix via la Turquie, ce qui assouplit le marché mondial des carburants !
Nous devons donc suivre attentivement ce que va faire le nouveau calife dont l'aire qu'il contrôle déjà s'étale sur la Syrie, une partie de l'Irak, déborde au Liban et a dans ses visées tous les pays arabes du proche et du moyen orient, avec des gens qui partagent ses convictions dans toute la zone et même chez nous : selon un sondage récent plus de 25 % des jeunes Français musulmans en approuveraient les objectifs et plusieurs centaines, sinon plus d'un millier, y participent activement !
Le nazisme et l'islamisme ont donc pareillement affiché la couleur avec beaucoup de gens acquis à leur cause. Ne laissons pas l'Histoire bégayer.