Par Alexandre del Valle, article paru dans Valeurs Actuelles, 23 décembre 2016.
L’auteur, qui a créé l’expression « totalitarisme islamiste » dans les années 1990 et qui accuse les responsables occidentaux de « se tromper d’ennemis » depuis la fin de la guerre froide, expose ici les grandes lignes de son dernier livre paru le mois dernier aux éditions L’Artilleur sous le titre « Les vrais ennemis de l’Occident, du rejet de la Russie à l’islamisation des sociétés ouvertes ».
A l’idéologie angélique du vivre ensemble planétaire, Poutine, Trump et peut être Fillon opposent la realpolitik d’une charité bien ordonnée qui commence par son propre territoire.
La désignation de l’Ennemi principal est une démarche assez simple – l’ennemi étant celui qui veut notre perte et qui s’y emploie – mais surtout constitutive de toute vision géopolitique. Pourtant, rien n’est plus difficile aujourd’hui pour un occidental atteint par le politiquement correct que de définir l’Ennemi au sens stratégique et non idéologico-moral du terme. Car pour les adeptes l’interventionnisme moralisateur à la BHL-Bush jr-Kouchner, désireux d’étendre la démocratie partout par les guerres ou le soutien aux « révolutions colorées » (Ukraine, Géorgie, Printemps arabe), l’ennemi n’est pas celui qui projette de détruire la civilisation judéo-chrétienne occidentale (les totalitaires marxistes ou islamistes, souvent alliés), mais celui qui s’oppose aux valeurs consuméristes, atlantistes et multiculturalistes qui définissent hélas l’Occident au sens non-civilisationnel du terme aujourd’hui. C’est ainsi que François Hollande a appelé à « traîner Poutine devant la Cour Pénale Internationale » pour le « punir » d’avoir fait bombarder les rebelles islamistes d’Alep. Pour les élites bien-pensantes qui méprisent l’identité de leurs peuples, l’Ennemi est donc celui qui fait obstacle à l’empire consumériste-multiculturaliste « Mc World », soit, à l’extérieur : la Russie néo-chrétienne-orthodoxe-nationaliste, et, à l’intérieur : nos populistes soumis à la reductio ad hitlerum. Pour les stratèges atlantistes, l’ennemi serait à la rigueur également le « terrorisme » (dilué en « global terror » ou « extrémisme violent »), mais surtout pas l’islamisme en tant que version politique-conquérante de l’islam sunnite, qui serait, comme l’ont juré Juppé, Clinton ou Obama, une « religion d’amour qui n’aurait rien à voir avec l’islam ».
En réalité, le terrorisme n’est qu’un mode d’action. L’ennemi réel sont les entités qui conçoivent et appuient ce terrorisme, donc les Etats et organisations islamiques qui ont pignon sur rue dans nos sociétés ouvertes à tous les vents et qui menacent notre population – qu’ils embrigadent -, notre territoire – qu’ils veulent conquérir -, et nos valeurs – qu’ils sapent sur notre propre sol. L’ennemi n’est donc pas celui qui développe chez lui une conception différente de la démocratie ou tel dictateur qui réprime des révoltes internes, mais celui qui attaque nos intérêts vitaux chez nous. Or cette définition désigne parfaitement nos « alliés » islamiques que sont la Turquie néo-ottomane, le Pakistan protecteur de Ben Laden et des Talibans et les pétro-gazo monarchies wahhabites du Golfe marraines du totalitarisme islamiste.
Trump-Fillon, deux espoirs de « reset » avec la Russie et d’unité panoccientale face au totalitarisme islamiste ?
Nos dirigeants doivent donc renouer avec une « politique de civilisation », c’est-à-dire intégrer les paramètres de l’identité civilisationnelle et de la préservation de leurs nations dans l’identification de l’Ennemi, au lieu de se limiter aux critères économico-énergétiques ou atlantistes qui ont fait de nos armées les mercenaires des monarchies du Golfe et autres ennemis de la Russie. Comme l’ont proposé Donald Trump aux Etats-Unis, Victor Orban en Hongrie, ou François Fillon en France, il est temps de mettre à jour nos logiciels géostratégiques et de renouer des rapports constructifs avec la Russie et les régimes souverainistes en guerre contre le même ennemi principal islamiste-sunnite. Il est également urgent, comme l’a dit Trump de cesser de s’aligner sur la russophobie des pays de l’Europe orientale (Ukraine, Géorgie, Roumanie, Pays baltes, Pologne) qui veulent se venger contre Moscou et pensent – comme l’ex-président polonais et le chef d’Etat major de l’armée américaine – que « la Russie est un ennemi pire que Daech ». Comme Poutine, Trump défend un monde plus multipolaire où la realpolitik et la défense des intérêts vitaux remplaceraient l’interventionnisme, idée très bien perçu de la Chine, aux Philippines ou dans le monde arabe. De son côté, François Fillon va dans une direction voisine : définition de l’ennemi principal islamiste, en tant que maladie en sein de l’islam ; réhabilitation de la nation ; rapprochement avec la Russie; réalisme au Moyen-Orient, y compris en Syrie, où le régime de Damas peut aussi être associé à la lutte contre l’ennemi principal islamiste; et autonomisation de l’Europe.
Après tant d’années de gâchis durant lesquelles les Occidentaux ont rejeté la Russie traitée en « vaincue » de la guerre froide, Poutine voit dans les avances de Trump et Fillon des opportunités d’un nouveau reset. Certes, on en est encore loin, et il faudra juger Trump sur les décisions effectives de son administration, dominée par un Congrès républicain peu amical envers la Russie. Toujours est-il que Trump, en homme d’affaires rompu aux deals, adoptera un pragmatisme aussi froid que celui de l’ex-agent du KGB pour qui seuls les intérêts comptent et pour qui tout peut se négocier. Et c’est là justement la bonne nouvelle, car le « souverainisme » prôné par Trump, Poutine ou Fillon sont bien moins belligènes que l’expansionnisme pandémocratique d’un Occident arrogant aujourd’hui détesté partout pour cette raison plus que pour son passé colonial. L’intérêt des Européens n’est donc plus de continuer à être un protectorat américain en échange du paiement par l’Oncle Sam de sa défense (ce que déplorent Trump et les partisans d’une Europe autonome), mais de devenir enfin une réalité stratégique propre dotée d’une armée et d’une vision géocivilisationnelle. Au lieu de l’utopie cosmopolitiquement correcte déracinante qui ne galvanise pas les « citoyens européens » et qui est devenue un piège pour le « Vieux Continent complexé » qui n’ose plus contrôler son territoire, assimiler ses immigrés et défendre ses valeurs chez lui…
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